Spécialiste des questions de sécurité, depuis qu’il s’intéresse au Covid, le sociologue Laurent Mucchielli suscite la polémique. Tour d’horizon à l’occasion de la sortie de son dernier livre, "la Doxa du Covid".
Le commentaire est flatteur et son auteur « pèse » un million d’abonnés sur Twitter : « Bravo à Laurent Mucchielli pour son nouveau livre. » Le soutien, c’est Didier Raoult. Et le titre de l’ouvrage du sociologue, La doxa du Covid. Spécialiste de la délinquance et directeur de recherche au CNRS, l’espace médiatique de Mucchielli s’est réduit. Faisant jusque-là partie des « bons clients », sa fiche Wikipedia est un champ de bataille et le voilà sur Sud Radio ou RéinfoCovid. Et si, en 2018, Marsactu, l’avait invité pour un débat sur la vidéosurveillance, le sociologue s’interroge désormais de n’apparaître que dans la partie « blog » du quotidien en ligne marseillais où l’on trouve une critique élogieuse de son dernier livre.
Sentirait-il le soufre ? Plusieurs collègues renâclent à s’exprimer : « Le Covid est loin de mes sujets. Et la situation délicate. » Chou blanc avec le « comité d’éthique » du CNRS, sa présidente Christine Noiville estimant pourtant que « les chercheurs ont une responsabilité forte en matière de communication dans la sphère publique ».
« On ne reste jamais enfermé dans un sujet »
A l’origine de cette mise au point ? Un billet cet été sur le blog de Mucchielli chez Mediapart qui demande la suspension de la vaccination au vu des « effets indésirables graves » voire d’une « mortalité inédite ». Le site choisira de « dépublier » le billet, estimant qu’il propage de « fausses nouvelles » (1). Dans Le Monde, huit chercheurs demandent une « réaction plus ferme » du CNRS. Qui déplore « les prises de position publiques de certains scientifiques […] sur des sujets éloignés de leurs champs de compétences ». Et de demander à tout scientifique de « préciser à quel titre il prend la parole ».
Collègue de Mucchielli, Nicolas Sembel tente d’adopter une « position mesurée. Pour moi, il reste pleinement sociologue et rappelons qu’on ne reste jamais enfermé dans un sujet. Mais on assiste à une cristallisation des positions. Voire une radicalisation ou plutôt une polarisation croissante. Ayant moi-même signé plusieurs de ses tribunes, j’ai eu des remarques ». Ajoutant : « Il y a dans notre discipline régulièrement des controverses. Et d’ordinaire, on peut discuter de la production et de l’interprétation de données. Mais là, avec l’emballement, ça devient impossible. »
Emilien Schultz, chercheur post-doctorant particulièrement investi sur les rapports entre science, politique et santé qui a déjà croisé le fer avec Mucchielli, se montre très critique : « Sur le Covid, j’attends encore de sa part un travail de sociologue. Il n’a pas d’expertise dans le domaine investi, pas de méthodologie claire et des erreurs flagrantes d’interprétation. » Précisant : « Je ne dis pas qu’il ne faut pas être critique. Mais pas en gommant tout au profit d’un grand récit. » Et de tiquer face à l’utilisation, pour la vaccination, du terme « religion, un concept lourd et très travaillé en sociologie qu’il faut manier avec précaution ». Ou sur « l’isolement » de ce « directeur de recherche qui publie son livre chez un éditeur… de poésie ». Tout en rappelant que « le monde académique – quoique régi par des règles de bienséance – est un monde très dur ».
L’eurodéputée écolo Michèle Rivasi – qui figure comme Mucchielli au casting du film La face cachée des vaccins – l’assure de son soutien : « J’ai apprécié sa démarche qui consiste à s’entourer pour travailler et, avec Raoult, de distinguer l’homme des travaux. Mais je lui ai dit “attention”. Biologiste de formation, pour avoir été critique envers les vaccins, on m’a taxée d’anti-vax ! Lui, ça n’a pas loupé. C’est féroce. Mais c’est le climat actuel. Alors que l’opacité qui entoure les contrats entre l’Europe et les labos à propos des vaccins m’oblige à aller jusqu’à la cour européenne de justice, on continue à entretenir discrimination et méfiance envers les non vaccinés qui sont des boucs-émissaires. » En tête, le « tweet » de Raoult à Mucchielli : « Bravo pour votre courage, celui de nager à contre-courant. »
1. Plusieurs sites choisiront, eux de le republier, notamment AlterMidi.
« Montrer comment on joue sur la peur, je fais ça depuis 20 ans »
Sociologue au CNRS, Laurent Mucchielli se penche depuis deux ans sur le Covid. A l’occasion de la sortie de son livre (1), entretien sur ses prises de positions. Et les polémiques qu’elles suscitent.
Spécialiste de la délinquance, pourquoi vous intéresser aux questions sanitaires ?
J’ai travaillé 20 ans sur la sécurité et fais, je pense, le tour. Mais, toujours intéressé par la délinquance des élites, je me suis penché sur la criminalité environnementale. Et donc sur les questions de santé publique. En parallèle, avant le 1er confinement, j’ai sorti un livre intitulé La France telle qu’elle est : pour en finir avec la complainte nationaliste. Avec le Covid, tout s’est arrêté. Mais si je m’y suis intéressé, c’est parce qu’il y avait des choses que je ne comprenais pas. Ni intellectuellement ni moralement. Pourquoi ne pas respecter le B.A BA des plans pour faire face à une épidémie : tester-isoler-soigner ? Pourquoi mettre hors jeu la médecine de ville ? Et tout faire reposer sur l’hôpital public en sachant l’état où il est. On s’est privé de tous nos atouts !
Êtes-vous sorti de vos domaines de compétence ?
C’est ce qu’on dit pour me discréditer et ne pas discuter du fond. D’autant que mon expérience m’a aidé. Montrer comment on joue sur la peur, je le fais depuis 20 ans. Mettre en évidence les phénomènes de corruption aussi. Dans mon manuel de sociologie, je consacre un chapitre à la délinquance en col blanc. Notamment au sein de l’industrie pharmaceutique. Voilà pourquoi, avant même les vaccins, j’étais préparé. Et pour travailler, je me suis entouré d’une cinquantaine de personnes. Quant à l’intitulé de mon travail, il n’a pas bougé : Enquête sur la gestion politico-sanitaire de la crise du Covid. De la sociologie, pas de la virologie.
D’où le terme « doxa »…
Popularisé par Bourdieu, cela désigne à la fois le discours dominant et des dominants. Et indique que ce qui est raconté est une construction qui s’est imposée comme une pseudo-évidence. Grâce à un certain nombre de mécanismes. D’abord la peur : avec ce virus, on va tous mourir ! Ensuite l’impuissance : on ne peut pas soigner. D’où le confinement. Seul moyen d’en sortir ? Le vaccin. Avec, tout au long, une normalisation éditoriale avec constitution d’un espace légitime de discussion. En rejetant tout ce qui contrevient au discours officiel dehors, dans cette catégorie fourre-tout de « complotisme ». Et ce, grâce à l’alliance de fait entre plusieurs acteurs : l’industrie pharmaceutique dont le marketing devient message politique ; l’OMS dont le principal financeur est la fondation Bill Gates, soutien massif des vaccins ; les gouvernements ; les médias, de plus en plus dans la com’ et les Gafam avec des phénomènes de censure gravissimes.
Quid de Mediapart qui a « dé-publié » un des billets de votre blog ?
J’ai subi leur censure non pas une mais quatre fois. Pour des articles rédigés avec des médecins, des universitaires… Voilà pourquoi je fais mes adieux à un média qui dit défendre la liberté d’expression, les lanceurs d’alerte, les intellectuels critiques mais qui n’a jamais répondu à mes demandes. Et qui, dans cette crise, a raconté la même chose que les autres. Notamment sur Raoult.
Avez-vous du mal à garder quelque distance avec lui ?
Je me fiche de Raoult ! Je ne le connais pas, ce n’est pas un ami et il semble évident qu’il est égocentrique, autoritaire… Ce ne sera, hélas, ni le premier ni le dernier et ce qui est dit du fonctionnement de l’IHU est malheureusement banal. Mais en rester au « people », c’est de la diversion. Comme de « politiser » ce dossier en associant son nom à Estrosi ou Trump. A un médecin, je lui demande de me soigner, pas ce qu’il vote.
Suite aux polémiques et à la prise de position du CNRS, quelles conséquences pour vous ?
A l’origine, il y a deux articles. L’un qui montre que le vaccin n’empêche ni la contamination ni la transmission. L’autre qui met en lumière les effets indésirables graves. De la pharmacovigilance… celle-là même qui est brandie pour écarter la chloroquine ! Je savais que ça réagirait. Mais pas qu’on demande à ce que je sois viré ! Le CNRS a publié un communiqué. Moi, je continue de travailler, le Covid n’étant qu’une partie de ce que je fais. Le tome 2 du livre sortira en mars. Pour l’heure, les seuls à m’avoir invité, c’est Sud Radio. Aujourd’hui, soit on tape sur les gens, soit on les ignore.
- La doxa du Covid Tome 1, par Laurent Mucchielli, éditions Éoliennes. 128 pages, 12,50 euros. Sortie du tome 2 le 15 mars.
Entretien réalisé par Sébastien Boistel