Trop jeunes pour mourir

septembre 2022 | PAR Samantha Rouchard
En France mais aussi au Maroc, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Depuis le confinement, les idées suicidaires chez les adolescent sont de plus en plus fréquentes. Sur les deux rives, malgré les tabous, associations et professionnels en santé mentale tentent de prévenir les risques de récidive.

« Je me souviendrai toute ma vie de ce soir-là où j’ai regardé par la fenêtre en me demandant : “Je saute ou je ne saute pas ?”», explique Sonia (1), 17 ans. Son année de troisième, l’adolescente scolarisée dans un collège du 15ème arrondissement de Marseille, l’a vécue comme un calvaire. En plus de problèmes familiaux qui lui pèsent, elle subit du racisme, des moqueries, des insultes, et devient la cible de rumeurs. « J’ai vécu du harcèlement scolaire doublé de cyberharcèlement. Je suis tombée en dépression. Et j’ai envisagé le pire car je voulais juste que cette souffrance s’arrête », ajoute la jeune fille.

« L’envie d’arrêter de souffrir est commune à toute forme de suicide, explique le pédopsychiatre marseillais David Soffer, directeur de l’Association pour la prévention du suicide et du mal-être chez l’adolescent (Asma) qui lutte contre la récidive. Mais il n’y a pas de petits risques suicidaires. Toute problématique est à prendre au sérieux. » Le médecin explique que chez l’adolescent, on parle plus de tentative de suicide que de suicide. Mais ces tentatives ne sont pas à négliger car des études montrent que le risque de suicide est d’autant plus important s’il y a eu des antécédents de tentatives. « Ça crée un impact morbide, au sens de la maladie pour toute la famille et pour le sujet lui-même qui se trouve fragilisé », poursuit le psychiatre.

Arrêter de souffrir

La France a un des taux de suicide les plus élevés d’Europe. Si au niveau mondial, il s’agit de la quatrième cause de décès chez les 15-29 ans, en France, il tient la deuxième place, après les accidents de la route, selon l’OMS. En 2017, chez les 15-24 ans, on comptabilisait 223 suicides chez les garçons et 89 chez les filles (source CepiDC) au niveau national. Les filles font trois fois plus de tentatives que les garçons mais ces derniers meurent trois fois plus que les filles. Les données épidémiologiques concernant cette population sont assez mal connues par région. Et les chiffres ne sont le reflet que des suicides déclarés comme tels.

Post confinement, en 2021, les tentatives de suicide ont explosé chez les adolescentes (+ 22 %), selon Santé Publique France, sans que la cause ne soit réellement connue à ce jour. Et depuis le début de l’année, Santé Publique France, tire la sonnette d’alarme. Dans son point mensuel, il est noté qu’en juillet, les passages pour gestes et idées suicidaires étaient en hausse chez les enfants, majoritairement les 15-17 ans, idem pour les adultes. Et le bulletin de préciser que les niveaux sont « supérieurs aux trois années précédentes dans ces classes d’âges ».

A la Maison pour Tous Saint Lambert-Bompard (Marseille 7ème), en mars dernier, les jeunes qui animent la web radio ont décidé de mettre le sujet à l’honneur. « L’idée est venue d’eux, c’est à ce moment-là que j’ai découvert que des jeunes qui fréquentent le centre avaient déjà fait des tentatives de suicide. Avant ça, je n’en savais rien, explique Andy Lamat, responsable du secteur jeunes de la MPT. Au micro, on avait invité des professionnels et ce temps d’échange a permis de parler de prévention et de trouver les mots pour aider celui ou celle qui voudrait passer à l’acte. »

La jeunesse de la rive sud non plus n’est pas épargnée. Un désespoir que la crise sanitaire et sociale est venue assombrir encore plus. En Tunisie depuis la révolution de 2011, l’immolation appelée aussi « suicide show » est désormais une pratique courante. Elle représenterait 40 à 60 % des tentatives de suicide chez les jeunes tunisiens. Dans l’esprit de ces derniers, cette pratique symbolise bien souvent aussi un acte social. A Gaza et dans les territoires occupés, les tentatives de suicide chez les jeunes inquiètent Médecins du Monde. « L’occupation militaire de la Palestine par l’armée israélienne a un impact considérable sur la santé mentale de la population, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes », précisent-ils sur leur site. L’ONG a formé à l’accueil de la parole 200 professionnels des hôpitaux et centres de santé de Bethléem, d’Hébron et de Jéricho, où vivent plus de 128 000 jeunes entre 15 et 25 ans.

Un sujet tabou

Au Maroc le confinement, l’isolement mais aussi les problèmes économiques et familiaux ont laissé des traces sur les jeunes, plus fragiles. Il semblerait là aussi que le suicide soit la deuxième cause de décès chez les 15-29 ans, même si ce n’est pas étayé par des enquêtes officielles. En effet, les suicides sont rarement déclarés comme tels puisque c’est interdit pas la loi. Les passages à l’acte, quant à eux, seraient de plus en plus nombreux. « Les pédopsychiatres au Maroc sont très bien formés et accessibles, reste le coût financier qui n’est pas supportable par tous et la répartition géographique qui n’est pas uniforme sur tout le territoire », souligne le psychiatre marocain Mohamed Hachem Tyal.

L’association Le sourire de Reda a développé une « helpline » de soutien émotionnel qui se nomme Stop Silence, gratuite et anonyme, accessible via la page web de l’association. 65 % des jeunes qui appellent font état d’envies suicidaires. Mais le sujet reste difficile à aborder au sein de la société. « Le suicide est tabou car il est porteur de honte et de culpabilité, poursuit le docteur Tyal. D’abord il renvoie aux troubles psychiques ce qui n’est pas accepté par le commun des mortels dans nos sociétés, et en plus il est rejeté totalement par la religion qui considère que la vie appartient à dieu et non à l’humain. Ce qui fait du suicide un interdit majeur et provoque un sentiment de honte dans les familles. » Suite à la crise sanitaire, le ministère de la Santé marocain a convoqué en février 2021 tous les acteurs autour de cette question pour réfléchir ensemble à un plan d’intervention national de prévention qui devrait être mis en œuvre sous peu. « Au sein de la Fédération nationale pour la santé mentale que je préside, nous sommes très heureux de cette prise de conscience. Nous espérons que cela augure des jours nouveaux dans la prise en charge de cette problématique », se félicite Mohamed Hachem Tyal.

L’OMS considère le suicide comme une priorité de santé publique. Ses États membres se sont engagés à s’efforcer d’atteindre la cible mondiale d’une réduction d’un tiers du taux de suicide dans les pays d’ici à 2030. Sonia, elle, vient d’obtenir son bac avec mention. Les années noires sont derrière elle. Pour sortir de cette spirale infernale, elle a d’abord consulté un psychologue en cachette, puis a fini par tout raconter à sa mère et s’est confiée à sa prof de français. Et a changé de lycée. Elle a même aidé une de ses harceleuses à obtenir son bac. « Aujourd’hui, dans mon quartier, je ne rase plus les murs. Et les plus jeunes, qui sont dans la même situation que moi il y a quelques années, savent qu’ils peuvent venir se confier », conclut la jeune fille.

1. Le prénom a été modifié.
Pour la France, le numéro national de prévention suicide à contacter est le 3114.