Une famille en or

janvier 2022 | PAR Frédéric Legrand, Le groupe Petits frères de la Seyne-sur-Mer
Pour conserver santé et vie sociale, la famille est pour les personnes âgées le bien le plus précieux. Mais entre brouilles générationnelles et manque de statut pour les aidants, les familles de seniors sont souvent à la peine.

Aide-soignant auprès de personnes âgées, Julien Fuentes a tout vu comme réactions des familles : « Certaines sont dans la culpabilisation de devoir placer leurs parents en maison de soins. D’autres se sentent perdues et ne voient pas de solution. Parfois, des familles peuvent être agressives, en mode “Quoi, elle est pas encore morte ?”. Au début, cela peut être choquant. Puis dans certains cas, on apprend que telle personne a été terrible avec ses enfants… » Forts ou distendus dès le départ, brisés ou raffermis par la maladie, les liens entre les personnes âgées et leurs enfants et petits-enfants, et entre les enfants entre eux, sont au cœur de la vie sociale de chaque senior.

« C’est le seul élément dans la vie qu’on ne peut pas remplacer, souligne Antoine Hérubel, bénévole référent pour les Petits frères des pauvres de La Seyne-sur-Mer. Quand on rencontre pour les premières fois une personne que l’on va accompagner, on ne lui pose pas trop de questions sur ses relations familiales. Sans entrer dans l’intimité des gens, on essaie de grappiller des indices. Si une personne n’a pas vu ses enfants depuis des années, il y a une raison. Petit à petit, on essaie de faire bouger des choses. Pour une dame, par exemple, on a pu retrouver le numéro de téléphone d’une cousine, elle l’a appelée et a pu avoir des nouvelles de ses enfants. L’enjeu c’est de réconcilier les enfants avec leurs parents, pas les enfants entre eux. » Adultes qui vont jusqu’en justice pour ne pas avoir à aider financièrement leurs parents, ou qui se déchirent sur la façon de les prendre en charge, petits-enfants qui viennent en cachette passer du temps avec leurs grands-parents : bénévoles et soignants sont en première ligne pour voir les lignes de fracture qui déchirent les familles.

Accueils de jour

Mais même dans les familles soudées, la difficulté d’accompagner une personne âgée peut être prégnante. Entre leur travail et leurs enfants, les aidants manquent souvent d’espaces dédiés pour pouvoir se reposer, et confier leurs soucis. « Ça existe pour les parents de malades d’Alzeihmer, rappelle Julien Fuentes, mais pour les autres situations ça n’est pas trop développé. » Au bout de six mois de concertation sur les enjeux du grand âge, à la charnière de 2018 et 2019, le gouvernement avait pourtant reçu un rapport et  préconisé plusieurs pistes : créer un guichet unique d’accueil et d’orientation des aidants, pour les aider à faire valoir leurs droits ; mettre en place une allocation journalière sur le modèle de celle qui existe pour les parents ; développer des solutions de répit pour les aidants, notamment via les accueils de jour ou les hébergements temporaires pour personnes âgées. Le plan, ambitieux, devait être concrétisé par une loi « grand âge et autonomie », englobant une réforme pour les soignants, avant la fin du quinquennat. Mais devant l’ampleur du chantier, le Premier ministre Jean Castex a annoncé en septembre son report, à une date non précisée. Quelques réformes ont été lancées via la loi de finances de la Sécurité sociale, mais rien sur les aidants. Une déception malheureusement devenue classique : un projet similaire avait déjà été repoussé sous Nicolas Sarkozy, puis sous François Hollande.

« Pourquoi cette inertie ? »

Au lendemain de l’annonce de Jean Castex, Michèle Delaunay, ministre socialiste du gouvernement Ayrault, chargée des personnes âgées et de l’autonomie, s’indignait dans Ouest-France : « Trois promesses, beaucoup de travail, des rapports multiples, une vaste concertation publique, qui aboutissent à trois abandons alors que le vieillissement démographique continuait de croître… Et pourtant, face à ces abandons, pratiquement aucune réaction des Français, alors que tous sont concernés. La France compte 15 millions de retraités, un grand nombre sont des aidants ou sont eux-mêmes menacés de perte d’autonomie. Ils sont nombreux à faire partie d’un syndicat, d’une grande association ou d’un parti politique. Pourquoi ce silence et cette inertie ? » Le débat risque de passer encore une fois sous les radars : parmi tous les candidats actuellement déclarés à la présidentielle, le communiste Fabien Roussel se distingue par la place consacrée aux seniors dans son programme, avec notamment l’objectif très ambitieux d’un soignant pour un résident dans les établissements de soin. Qu’elles soient volontaires ou récalcitrantes, les familles n’ont pas fini d’être le premier pilier de la vie des personnes âgées.

Les aidants attendent toujours leur statut

Un français sur quinze. En France, 3,9 millions de personnes aident un proche âgé dans sa vie quotidienne, selon le rapport issu de la concertation « grand âge et autonomie ». « Leur travail informel est valorisé à plusieurs milliards d’euros, de 7 à 18 milliards », évalue le rapport en citant une étude du Conseil d’analyse économique, service rattaché au Premier ministre. Et près de la moitié des seniors déclarent n’être aidés que par leur entourage.

Adoptée en 2018, la loi « adaptation de la société au vieillissement » avait reconnu l’importance du proche aidant, et mis en place un droit au répit pour leur donner les moyens de se reposer. Mais les critères pour pouvoir bénéficier des plateformes de répit ou des modules relais en cas d’hospitalisation de l’aidant « sont trop restrictifs, et leur mobilisation s’avère complexe », souligne le rapport. Ils sont donc encore trop peu utilisés. Quatre ans plus tard, il semble indispensable de mettre en place un véritable statut et d’augmenter les moyens qui y sont alloués, notamment en généralisant la rémunération du congé pour proche aidant.

Au terme de son rapport, la mission « grand âge et autonomie » fixe cinq objectifs : simplifier la vie des proches aidants, notamment au niveau administratif ; améliorer leur accompagnement financier ; les aider à concilier aide et vie professionnelle ; lancer des expériences innovantes à partir des territoires ; mobiliser des bénévoles de tous les âges. Des recommandations qui risquent fort de rester des vœux pieux. Alors que les retraités votent parfois jusqu’à deux fois plus que les 18-24 ans, l’aide aux seniors et à leurs proches ne figure dans aucune des priorités des candidats déclarés à la prochaine élection présidentielle.