Combien ça coûte ?

juin 2010
Certainement par pudeur, Jean-Pierre Pernaut ne s’est jamais posé cette question dans son émission phare : quel est le prix de la corruption et du clientélisme pour la collectivité ? Tentative de réponse.

Enrichissement personnel, financement de parti politique, etc. La corruption a ses buts inavouables, mais jamais de victime. Curieux ? Pas tellement, selon Jean-Louis Briquet, directeur de recherche au CNRS : « Ce délit n’a pas de victime individualisable. »

Et pour cause : ce sont les collectivités (communes, départements, etc.), qui sont les premières lésées et, à travers elle, les contribuables et usagers. Magie d’un système gagnant-gagnant, le bakchich d’un marché public – souvent de l’ordre de 10 % du total pour que le risque soit assez intéressant (1) – est répercuté par l’entreprise dans son offre. Même la très libérale OCDE s’est récemment inquiétée du phénomène (2) : l’organisation internationale voit dans la pratique un mauvais gaspillage en période de crise ! « C’est surtout dommageable pour les politiques publiques, puisque c’est de l’argent qui est détourné de son objet », résume Cesare Mattina, sociologue et spécialiste du clientélisme. Notamment en matière d’investissement.

A ce coût direct s’ajoutent des coûts indirects. En vrac : moindre qualité des prestations et des services, sécurité des ouvriers bradée, etc. Ou encore édification d’ouvrages inutiles. « On peut par exemple s’interroger sur la manie des ronds-points qui a sévi en France », assure Jean de Maillard, vice-président du TGI d’Orléans et auteur de plusieurs ouvrages sur la criminalité financière. Président du PRG06 et animateur de l’antenne des Alpes-Maritimes de l’association Anticor (3), Jean-Christophe Picard complète une liste non exhaustive : « Si on prend en compte les pénalités ou les frais supplémentaires, le coût pour la collectivité peut être de 20 à 30 %. »

« On peut s’interroger sur la manie des ronds-points qui a sévi en France. »

Les affaires politico-financières des années 90, comme toutes les autres, ont également un autre type de conséquence pour la collectivité (et non le moindre) : le développement du « tous pourris » cher au FN. « Ce coût moral de la corruption est inestimable : la classe politique est discréditée et l’engagement politique est perçu négativement, comme de plus en plus marchand », regrette Jean-Louis Briquet.

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Dans le genre « engagement marchand », le clientélisme, une autre tradition locale, est tout aussi néfaste pour les finances locales que la corruption. « En prenant l’exemple d’un hôpital présidé par un maire, on peut estimer que ses renvois d’ascenseur en emplois ont pour conséquences : un personnel trop important mais pas assez qualifié, donc incapable de faire le travail et plus souvent en arrêt maladie », estime Thierry Beaugé, vice-président de Transparence international France. Avec le même prix « moral ».

Dernier phénomène, assez nouveau, le mélange entre intérêts privés et publics. Le réhaussement des seuils du plafond des marchés de services et de travaux sans appels d’offre (5,9 millions d’euros) favorise par exemple les copinages, l’ascenseur est renvoyé avec une nomination à un poste lucratif, etc. A Nice, Christian Estrosi, maire UMP et ministre de l’Industrie, s’en est fait une spécialité (4). Une question de génération, explique Jean-Christophe Picard : « Les nouvelles sont plus sensibilisées et plus prudentes, elles recherchent des solutions légales. »

Mais tout aussi chères pour la collectivité. Directement et indirectement.

Jean-François Poupelin

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