Les incinérateurs crachent la démocratie tousse

juin 2010
Bien que l’Organisation mondiale de la santé ait reconnu leur nocivité pour l’homme, cinq incinérateurs fument un quart des déchets de la région.

Durant les trois secondes nécessaires à votre lecture du titre de cet article, une tonne de déchets a été brûlée par les 129 incinérateurs français en fonctionnement. Ou plutôt 130, avec la mise en service de celui de Fos-sur-Mer. Depuis que la cour administrative d’appel a débouté le syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et les différents opposants à l’incinérateur de déchets ménagers qui contestaient l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter, rien ne semble pouvoir arrêter cette hydre industrielle avide de juteuses poubelles. Les plaignants ont saisi le Conseil d’Etat mais leur recours n’est pas suspensif. Chaque année, 410 000 tonnes de rebuts devraient y être traités, dont 300 000 léchés par les flammes. Actuellement, la région produit la bagatelle de 3,8 milliards de tonnes de déchets (1). Dont 0,8 milliards de tonnes incinérées par les unités de Nice, Toulon, Antibes et Vedène (Vaucluse).

Tous les collégiens savent grâce à Lavoisier, que rien ne se perd, ni ne se crée, mais que tout se transforme. L’usine de 18 hectares à Fos n’« éliminera » donc pas un tiers des déchets de la région, mais les transformera en gaz, diffusés aux alentours. Ainsi qu’en MIOM, « mâchefers d’incinération d’ordures ménagères » et REFIOM, « résidus de fumée d’incinération d’ordures ménagères ». En bref, du lait concentré sucré, mais tout noir, avec des métaux lourds, de la dioxine, des furanes et autres polluants dedans. « Une tonne de déchets produit 30 kilos de déchets ultimes » (2), explique Xavier de Gaulejac, directeur de la nouvelle usine et poids lourd de la société Everé (3). Soit près de dix tonnes de déchets ultimes produits par an à Fos. Les REFIOM, ultra-toxiques, contiennent essentiellement cendres volantes, résidus de neutralisation et gâteaux de filtration des eaux de lavage des fumées. De quoi régaler le site de stockage de Bellegarde, dans le Gard.

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« Fos a incinéré la démocratie »

« L’incinération n’est pas une nécessité, explique Jean Gonella, membre de la Fédération d’action régionale sur l’environnement (Fare Sud). On peut faire sans, comme à Hong-Kong ou Seville. Tandis que certains pays s’acheminent vers le « déchet zéro » qui demande une ré-organisation de nos circuits de consommation, d’autres comme la France inaugurent des incinérateurs. L’évidence, c’est que l’usine de Fos a déjà incinéré la démocratie. » Malmenée lors des constructions, la démocratie l’est également lors des contrôles. « C’est digne de la bureaucratie soviétique, poursuit Jean Gonella. Pour contrôler un incinérateur, il faut que la Direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement (Drire) prévienne 48 heures à l’avance ! Le motif avancé est la sécurité des inspecteurs, afin qu’ils ne soient pas au contact des substances toxiques. Belle hypocrisie ! » L’histoire de la fermeture de l’incinérateur de Digne-les-bains est également inédite. « Nous savions par un employé que les filtres étaient retirés la nuit pour réduire leur usure. L’ancien Maire, Jean-Louis Bianco, est alors allé de nuit pour constater les faits. L’incinérateur a fermé peu après. »

Quant à l’incinérateur de Toulon, son exploitant le SITTOMAT semble avoir décidé de ne communiquer, tels les Sioux, que par signaux de fumée. Joel Digo, représentant varois de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, le déplore : « Le problème avec les analyses du SITTOMAT, c’est qu’il se note lui-même et qu’il se considère comme un très bon élève. Les riverains voient pourtant bien des fumées noires sortir épisodiquement des cheminées, preuve d’un dysfonctionnement. Notre collectif « R’Pur » a proposé au SITTOMAT de s’associer à la demande d’une étude épidémiologique auprès de la préfecture. Mais pour l’heure, aucune réponse. » Entre bisons industriels et citoyens sans scalp, la hache de guerre n’est pas prête d’être enterrée.

Jean-Baptiste Malet

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