Gaudin coule Marseille dans le béton

septembre 2011
Jean-Claude Gaudin n'est pas seulement le 1er président des sénateurs UMP a avoir réussi l'exploit de mener son groupe dans l'opposition ! Il restera aussi dans les mémoires comme le maire de Marseille signant les permis de construire à la chaîne et bétonnant sa ville. Car dans la cité phocéenne, tout est bon pour implanter de nouveaux immeubles, même le plus petit espace de verdure.

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Le Roucas Blanc côté mer (7e), un des quartiers les plus huppés de Marseille. Au 397, corniche Kennedy, le portail automatique s’ouvre sur une colline rare. Au centre, un château fermé entouré d’un parc à l’abandon ; un peu plus haut, des villas (neuves) ; enfin, Les Alpilles. Une résidence de sept bâtiments (140 appartements) classée au patrimoine du xxe siècle, construite dans les années 1970, avec vue imprenable et piscine privée. Petit plus : trois hectares de verdure, garigue et bois protégés, propriété de la ville et des propriétaires.

Dans la plus pure tradition azuréenne, Jean-Claude Gaudin rêve de les bétonner. En 2000, sa majorité rend un hectare constructible et ajoute les deux autres en dote, officiellement pour faire économiser les charges à la collectivité (112 000 euros par an). Prix du joyau : 6,8 millions d’euros (4,6 pour la ville, 2,2 pour les copropriétaires). Après un échec avec le prestigieux Georges V, une mystérieuse société en nom collectif domiciliée à Roubaix, Marseille Corniche Kennedy, a généreusement repris le projet de quatre immeubles (60 appartements) avec piscine. Mais rien n’est encore fait. « La promesse de vente arrive à échéance le 30 novembre et est soumisse à la scission du terrain de l’actuelle copropriété. Pour l’obtenir, la mairie doit avoir l’accord des trois quarts des autres propriétaires », explique André Dahan qui tente de mobiliser ses voisins contre l’opération.

Une partie d’entre eux flaire en effet l’entourloupe. « Le promoteur jure que les deux autres hectares ne seront pas construits, mais il n’y a aucun garde-fou », assure le président du Comité d’Intérêt de Quartier (CIQ), tête de proue des opposants. Et de dénoncer : « Le conseil syndical est en partie sous l’influence de la mairie, on nous menace d’une augmentation de 30 % des charges si la vente échoue et il y a un acharnement des élus. Mais un grand silence demeure sur l’avenir du site. »

Engagements non tenus

Depuis quelques mois, ce genre de dossiers ressort des placards de la majorité municipale. La crise financière derrière lui, le sénateur-maire UMP de Marseille reprend ses (mauvaises ?) habitudes de bétonneur des espaces verts (1). Autre exemple : le jardin arboré de Chanterelle (1er). Initialement réservé à des équipements socioculturels, il est aujourd’hui la cible des promoteurs, avec la bénédiction de la mairie. « Je pensais qu’ils avaient pris conscience de l’absurdité de leur politique de densification sans Plan local d’urbanisme, ce que plus aucune ville ne fait en France, mais après la pause des municipales, ça continue », peste Philippe Sanmarco, ancien bras droit de Gaston Defferre.

Vice-président « Rénover et construire une ville solidaire » à la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, élu en 2008 sur la liste de Jean-Claude Gaudin à la suite d’un accord politique, Sanmarco, le président de Convention citoyenne, a repris son indépendance au printemps. Justement parce que Gaudin, « l’enfant de Mazargues », ne tenait pas ses engagements en matière d’urbanisme ! Présentation de cette politique « du permis de construire » : « D’abord, il y a des coups, comme sur la Corniche : un promoteur repère un terrain en se baladant, si ce dernier est municipal, il obtient le permis. Ensuite, il y a des choses plus pensées : les ZAC (2). Elles comprennent une déclaration d’utilité publique, donc un aménagement incluant des infrastructures publiques (crèche, école, transports, etc.). À Marseille, seuls les logements sont construits. »

Une arnaque qu’a connue Françoise Quéguiner. En 2005, cette quinqua a acheté à La Croix-Rouge (13e), un quartier de résidences privées récemment sorti de terre dans le cadre de la ZAC Château-Gombert (13e), une opération lancée en 1986. « Parmi les arguments des promoteurs, il y avait la construction d’une plaine sportive et l’aménagement du parc Athéna, dont on nous disait qu’il serait le second poumon vert de Marseille », raconte l’instit.

Le parc Athéna, de 12 hectares, a eu droit au minimum (jardin d’enfants, chemins, tables de pique-nique) et n’est plus entretenu. La plaine sportive, elle, n’a jamais vu le jour faute de crédits. Mais sa surface réduit progressivement. Il y a trois ans, la mairie y a voté un programme de 80 logements porté par Eiffage. Surprise concernant le permis de construire déposé cet été : 43 appartements et deux étages gagnés ! « On ne voit pas pourquoi le reste de la parcelle ne serait pas entièrement construite », constate Françoise Quéguiner, militante active au sein du collectif Poumon vert, créé il y a trois ans par les habitants du quartier pour tenter de limiter les dégâts (3).

Direction : les tribunaux

Les Hauts-de-Sainte-Marthe (14e), autre ZAC, autre problème. Lancée en 2004, elle s’étend sur la campagne Mirabilis, où se concentrent anciennes bastides classées et terres agricoles. Au programme : Un « éco-quartier »… de 10 000 logements et 30 000 habitants ! Dernier sujet qui fâche : l’empiètement de la U240, une nouvelle route, sur la ferme pédagogique de la Campagne Montgolfier, propriété de la ville de 12 hectares qui comprend également une chèvrerie bio, une bastide et une « utopie paysagère », un parc aux essences des quatre coins du monde. La décision fait bondir Nicole Raphaël, du très actif CIQ local : « Alors que la ville prône la préservation des espaces verts et des terres agricoles, là animaux et voitures devraient cohabiter ? C’est impossible ! » Et de dénoncer : « On met la charrue avant les bœufs, les promoteurs dont les immeubles avant les routes. On est en train de répéter les erreurs des années 60 ! »

« La mairie bétonne parce que c’est plus rentable que la verdure », taclent Marie-Ange Andréi et Éric Mullard, du collectif SOS Longchamp. Ce dernier se bat depuis 2007 (encore) contre l’édification d’un parking de quatre étages et 500 places sur une parcelle du parc Longchamp (4e), qui menace les 3 300 m2 de l’ancien jardin zoologique et 50 à 60 arbres, dont des vénérables de 150 à 170 ans (4)… « L’objectif de la ville est [aussi] d’installer une classe supérieure aisée supposée voter à droite. Comme l’ont montré les dernières élections, ça a des limites : quand les gens se font piéger parce qu’il n’y pas d’école ou pas de route, ils sont mécontents », rappelle de son côté Philippe Sanmarco. Et d’annoncer : « Face à cette “reprise attitude” (sic), il va falloir reprendre la direction des tribunaux. »

L’exercice pourrait s’avérer plus difficile qu’il y a quelques années. Françoise Quéguiner explique : « Chaque semaine, on va vérifier que le permis de construire n’a pas été signé. Sur un autre programme, il a été affiché après les deux mois pendant lesquels on peut déposer un recours. Pourtant, le promoteur nous a montré un constat d’huissier. Ils ont dû prendre une photo puis l’enlever… » Le maire de Marseille semble avoir gagné en expérience, au moins dans ce domaine.

Par Jean-François Poupelin

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