Sectes indéterminées

décembre 2004
Combattre les dérives sectaires, c'est d'abord les définir. Entre laisser-faire et chasse aux sorcières, l'équilibre est parfois fragile. Demeurent, en Paca comme ailleurs, de vrais gourous ainsi que les pratiques du « néo-sectarisme » qui fleurissent sur le terreau de l'idéologie « new age » et des techniques pseudo psychothérapeutiques. Reste la difficulté de réguler sans normaliser...

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C’est en Paca, après l’Ile de France, que l’on trouverait le plus de sectes. Le Gemppi (Groupe d’étude des mouvements de pensée pour la prévention de l’individu) estime à 60 000 leurs adeptes et sympathisants sur la région dont 40 % des effectifs pour les seuls témoins de Jéhovah. « Nous n’avons pas vraiment d’explications, reconnaît Didier Pachoud, président de l’association dont le siège est à Marseille. Les sectes aiment les grands centres urbains, les zones frontalières. Peut-être qu’elles apprécient elle aussi le soleil. Ainsi que la « clientèle » aisée et âgée, sur la Côte d’Azur, qui a de l’argent et du temps ». Des chiffres qu’il faut toutefois prendre avec précaution. Les sectes aiment le secret. Et puis, surtout, compter les adeptes des sectes suppose d’avoir répondu à une question préalable. Qu’est ce qu’une secte ? Peut-on vraiment la définir ? Et si oui, à quel endroit placer la frontière qui va distinguer tel groupe d’un autre comme « sectaire » ? La loi About-Picard de 2001, en étendant le délit « d’abus de faiblesse, tente une définition : la secte est « une personne morale ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ses activités ».

Les renseignements généraux utilisent, eux, une dizaine de critères qui, conjugués, caractériseraient une secte : déstabilisation mentale, caractère exorbitant des exigences financières, rupture avec l’environnement d’origine, atteinte à l’intégrité physique, discours antisocial, troubles à l’ordre public, tentative d’infiltration des pouvoirs publics… Beaucoup de partis, d’associations ou bien même d’entreprises pourraient correspondre à un plusieurs de ces critères. Sans parler des religions !

« Toutes les religions sont susceptibles de connaître des dérives sectaires. Prétendre le contraire serait supposer que certaines auraient des vertus supérieures »

Ernest Renan a eu une formule célèbre : « l’Eglise est une secte qui a réussi ». Sur ce point, Nathalie Luca, chercheur au CNRS et au Centre d’étude interdisciplinaire des faits religieux (Ehess), est formelle (1). « Les Etats acceptent de reconnaître les églises dont les critères semblent compatibles avec leur propres valeurs et leur idée de la nation, explique-t-elle. Et ils qualifient les autres mouvements de sectes. Toutes les religions sont susceptibles de connaître des dérives sectaires. Prétendre le contraire serait supposer que certaines auraient des vertus supérieures ». En 1996, les parlementaires français ont pourtant choisi de présenter une liste de 173 groupes « sectaires » (dont 70 implantés en Paca) ainsi que, en annexe, une liste proposée par l’Unadfi (Union nationale pour la défense des familles et de l’individu). Sur celle-ci figurait, par exemple, le mouvement Longo Maï (lire page 10). Suite à un procès, perdu, l’association a retiré de sa liste le nom de cette communauté de néo-ruraux installée dans les Alpes-de-Haute-Provence. Mais sur le site internet du Parlement, le rapport n’a pas encore été actualisé : Longo Maï y reste toujours stigmatisé. « On peut mettre en garde contre certains groupes, c’est le rôle légitime de l’Etat, poursuit Nathalie Luca. C’est autre chose de fournir une liste précise, sans donner la moindre explication ni les moyens à ces groupes de se défendre, sans établir des niveaux de dangerosité ». Mais la sociologue de préciser aussitôt : « Attention ! Ce n’est pas parce qu’on a du mal à définir les sectes qu’elles n’existent pas. La complexité de l’objet ne veut pas dire qu’il faille le nier ou le minimiser ».

Des associations s’emploient donc à traquer les « dérives sectaires », le terme que, depuis 2002, la mission interministérielle préfère à celui de « sectes ». « Même s’il est objectivement difficile d’établir clairement des limites au phénomène sectaire, les pouvoirs publics pourraient beaucoup mieux préciser dans la loi la notion de manipulation mentale », juge Jacqueline Burguière. Présidente depuis vingt ans de l’ADFI-PACA, dont le siège est basé à Aix en Provence, elle met en garde contre les idées reçues. « L’argent dans les sectes n’est pas l’essentiel, affirme-t-elle. Ce qui motive les gourous, qui prétendent tous apporter à l’humanité une idée nouvelle pour son salut, c’est la jouissance du pouvoir. Autre cliché : il n’y a pas un profil type de l’adepte. Nous sommes tous à la recherche du sens de la vie, tous sujets à la souffrance, la maladie, la mort. Donc tous susceptibles, un jour ou l’autre, de nous laisser séduire par un groupe sectaire ». Et à croire les associations, la situation, en France et dans la région, ne s’arrange pas franchement. « Les sectes classiques avec un gourou clairement identifiable, une structure hiérarchique, laissent place à des myriades de groupuscules néo-sectaires qui se réunissent autour de pseudo-psychothérapeutes, explique Didier Pachoud. Autour de thèmes new age, se développe une forme de sorcellerie modernisée ».

« Chez les psychothérapeutes, sans sombrer dans la paranoïa, sans voir des sectes partout, il est nécessaire d’assurer un minimum de transparence »

Le neo-sectarisme à la sauce « nouvel âge » représente désormais, selon l’ADFI-PACA, 80 % des plaintes qu’elle centralise. Un phénomène qui serait encore plus difficile à appréhender, donc à combattre. « Autrefois, nous parvenions à sortir, chaque année, une douzaine d’adeptes de leurs mouvements, constate Jacqueline Burguière. Ce n’est plus le cas ». En mars dernier s’est tenu, à Marseille, un colloque européen sur le thème « santé et emprises sectaires ». Le docteur Armogathe, psychiatre membre du Gemppi, y a listé quelques une des techniques prisées par le « psycho sectarisme » : analyses sauvages, bio énergie, biofeedback, biorythmes, psycho-généalogie, channeling, chirologie, lying, métamorphiques, voyage astral… « Sans sombrer dans la paranoïa, sans voir des sectes partout, il est nécessaire d’assurer un minimum de transparence », explique-t-il. Sur les 220 000 médecins en France, l’Ordre des médecins estime que 1000 à 2000 d’entre eux sont liés à une secte. Tout est encore plus flou du côté des 30 000 psychothérapeutes. « Le récent amendement Dubernard les oblige désormais à s’inscrire dans chaque département sur une liste et à attester qu’ils ont suivi une formation théorique et pratique en psychopathologie, poursuit Jean-François Armogathe. Cela va dans le bon sens ». Mais, là encore, les débats ont été virulents. Un autre amendement, défendu par Bernard Accoyer, a été combattu par de nombreux psychanalystes redoutant une « médicalisation » et une mise sous tutelle étatique de la psychothérapie. Agir contre les sectes sans sectarisme n’est donc pas facile. « Tous les groupes sectaires ne sont pas semblables, reconnaît Didier Pachoud. Dans le cas de l’Ordre du temple solaire, par exemple, l’adepte s’expose à un danger total. Dans celui du Mouvement humaniste, on a à faire à de la déloyauté et à des nuisances. Sans assimiler tout le monde, promouvoir le laisser faire est désastreux » (lire page 8). La France est pourtant souvent montrée du doigt, à l’étranger, pour son approche jugée « liberticide ». Un reproche qui fait sourire le président du Gemppi : « oui au renard libre dans le poulailler libre ! Mais je le préfère avec une muselière ».

M.G.

(1) Nathalie Luca vient de publier au Puf un « Que sais-je ? » intitulé Les sectes (N°2519)

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