« On n’est pas au pays des bisounours ! »

janvier 2012
Tous les mois, un grand reporter du Ravi « teste » incognito un conseil municipal dans une ville ou un village de notre belle région... Dans le numéro de janvier, actuellement en vente, nous sommes allé "contrôler" un conseil de la mairie du 1/7 à Marseille (Mennucci...). Le 21 novembre 2011 nous avions "testé" une réunion de concertation de l'agglomération Marseille Provence Métropole dont nous publions ici le compte rendu.

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14h25 Une sonnerie de lycée retentit dans l’hémicycle enterré du siège de la communauté urbaine Marseille Provence métropole (MPM), à l’entrée du Prado. Quelques 150 personnes, « dont beaucoup de représentants des comités d’intérêts de quartier » selon la com., se pressent pour la seconde partie de l’événement du jour : la réunion publique de présentation du document d’orientation générale de son Schéma de cohérence territoriale (Scot).

14h29 Second rappel à l’ordre. Chemise bleu ciel sous un costard noir, ventre en avant, Yves Blisson, journaliste grisonnant (LCM, France Bleu) et modérateur de la journée, lance les hostilités avec un film de propagande. En 5 minutes, un clip mêlant électro (« grands enjeux » d’une ville internationale), guitare (« ville de proximité ») et pop (« littoral »), montre le territoire de Marseille et ses environs à l’horizon 2030.

14h35 Les intervenants de la première table ronde (l’habitat) – deux techniciens de MPM, un de la ville de Marseille et deux élus – s’installent face à la salle, autour de tables de bar hautes. Les premiers annoncent « 80 000 emplois, 80 000 habitants et 80 000 logements » et parlent « densification », « centralités », « territoires de projets » ou « mixité fonctionnelle » (logements, emplois, services, loisirs), etc. A l’occasion, Yves Blisson relance à l’aide d’une question convenue.

14h44 Patrick Magro, vice-président, massif et barbu, à l’aménagement de l’espace communautaire et président du groupe communiste de l’institution, promet de son côté « de 20 % à 30 % » de logements sociaux dans tous les futurs programmes immobiliers « pour rattraper le retard ».

14h59 Un spectateur part dans un grincement de fauteuil.

15h00 Laurent Méric, directeur adjoint de l’Aménagement durable et urbain à la ville de Marseille, conclut aussi la présentation par une promesse : « Nous avons besoins d’objectifs ambitieux. » Pour certains, le Scot en manque cruellement. « Il n’y a pas de projet politique, tacle en privé un technicien de MPM. Le Scot ne fait pas grand-chose pour freiner l’étalement urbain ou le règne de l’auto. » Et de conclure : « Même les services de l’Etat disent qu’il n’est pas assez ambitieux. » La révolution promise est en marche… arrière ?

15h05 Haut les cœurs ! Après avoir fait applaudir les premiers intervenants façon Jacques Martin, Yves Blisson lance la seconde table ronde. Elle est consacrée, justement, aux déplacements. Trois nouveaux techniciens, tous de MPM cette fois, s’installent.

15h15 « Quand on regarde Nantes, Lyon ou d’autres villes, on se dit qu’on est un peu en retard, explique sans détour Patrick Magro. Le Scot est là pour le rattraper. » De petits rires moqueurs acquiescent. Selon le communiste, le territoire serait victime d’un « héritage », d’un « péché originel » : la gestion Deferre. Ses successeurs, en particulier Jean-Claude Gaudin, sont curieusement épargnés.

15h19 Inévitablement, Claude Valette, l’adjoint à l’Urbanisme du sénateur-maire UMP, enchaîne sur son dada, la LGV : « C’est une bataille importante à livrer, c’est la seule façon d’organiser un RER sur l’aire métropolitaine. » Et d’espérer « que tous les maires s’uniront pour ». Vu l’enthousiasme autour d’Aix et d’Aubagne, c’est comme si c’était fait…

15h34 Il est également question de « modes de déplacement alternatifs », comme la « marche » (sic), de « transports en commun » mais « sans parler tram, métro ou bus à haut niveau de service », etc. C’est toute la subtilité : si le Scot est opposable au Plan local d’urbanisme ou encore au plan de déplacement urbain, il ne programme rien. Il planifie et ses recommandations et orientations sont, justement, mises en musique par le PLU, le PDU et tous les documents de rang inférieur.

15h41 Le public est studieux, applaudit à l’occasion une digression ésotérique de Claude Valette. Exemple : « Je me bats pour la transversalité. »

15h44 Yves Blisson conclut la dernière table ronde de la journée : « Il nous reste une grosse heure et un quart de discussion. » Signe d’une certaine impatience, les doigts sont déjà levés.

15h45 Le grand gagnant est Jean-Luc Duriez. Premier à obtenir la parole, le « responsable habitat à la Confédération syndicale des familles » dénonce, entre autres choses, une « concertation […] insuffisante ». Patrick Magro s’y colle. « Il nous faut évidemment trouver les outils pour faire partager aux citoyens les problèmes techniques, financiers, etc », reconnaît le communiste. Qui s’interroge : « Avec de la communication comme aujourd’hui ? » Et de s’enflammer : « Ça pourrait être le dernier plan d’un petit ouvrage de 150-180 pages sur le sujet. »

15h53 Autour de Bernard Arrigo. Le président du CIQ Vallon de Toulouse-Régny est furieux : « Vous nous caressez dans le sens du poil, mais on est pas au pays des bisounours ! Quand s’arrêteront les opérations avec des milliers de logements sans les équipements publics qui vont avec ? » Jean-Marc Bonino, un grand sec grisonnant, directeur de l’Urbanisme à MPM, balaie : « Nous ne sommes pas sourds à la dénonciation. Le but du Scot est de rendre cohérentes les actions. Mais on ne peut pas arrêter le sablier pour construire les infrastructures. » Dommage.

16h02 Aveu de Claude Valette : « La dernière planification date de 1932. » Et pour cause : celle de 1969 n’a pas été validée par l’Etat ! Pire, Marseille a toujours été en retard : les plans d’occupation de sols de 1981 et 1993 ne prenaient pas en compte l’évolution démographique de la ville et celui de 2000 de n’intégrait pas la loi SRU. Avec ce Scot, les (mauvaises) habitudes sont toujours là : le document se soumet à la loi SRU alors qu’il devrait être basé sur le Grenelle II !

16h07 Départ de Claude Valette.

16h15 Michel Fournairon, du collectif Vélos en ville, s’inquiète de l’ambiguïté sémantique du document, Jean-Marc Bonino tranche encore vertement : « Il y a le monde idéal et la vraie vie […] Le Scot n’est peut-être pas assez ambitieux pour vous, mais pour nous, il est déjà un message ambitieux ! » Patrick Magro abonde dans une belle envolée : « Je cite Mao : quel est le danger ? Le danger, c’est qu’il n’y ait pas de Scot, pas de planification ! »

16h28 Yves Blisson offre la parole à Monique Cordier, la toute puissante présidente des CIQ de Marseille. Enfoncée dans son siège, la quinqua distribue d’abord les bons points : « Je tiens à vous remercier d’avoir organisé cette journée, on sent que du chemin a été fait. » Puis persifle : « Nous, on vit un quotidien qui n’est pas pareil. » Applaudissements. Le directeur de l’Urbanisme de MPM, est d’un coup beaucoup plus urbain, lui donne du « madame la présidente ».

16h34 Le temps passe, les questions défilent. L’ambiance reste cordiale. Même si Pascal Pozzado, un communiste, s’emporte : « Je souhaite que nos remarques ne soient pas simplement écoutées mais aussi appliquées ! » Silence.

16h45 Un chercheur à fort accent nordique a plus de chance. Intervenu quelques minutes plus tôt, il relance : « Je veux des réponses à mes questions ! »

16h53 Eugène Caselli, le maître des lieux, fait son apparition pour les dernières minutes du match.

17h01 Dans son style inimitable, Yves Blisson clôt la discussion et laisse la tribune au président de MPM.

17h18 Eugène Caselli conclut en remerciant par un vibrant plaidoyer pour la création d’« un territoire métropolitain. Les problèmes et les besoins se posent d’ores et déjà à une autre échelle ». C’était bien la peine !

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