La fin des Aygadiers ?

novembre 2004

En 1847, le Canal de Marseille met fin au manque d’eau potable de la ville, qui avait contribué au développement des épidémies, notamment le choléra de 1835. L’eau du canal vient de la Durance et serpente pendant 80 km à flanc de colline pour finir par ceinturer Marseille, avant de s’éteindre dans la mer. La partie marseillaise de l’ouvrage fournit la majeure partie de l’eau potable marseillaise. Prise à Sainte Marthe, l’eau brute est filtrée dans le bassin du Merlan (14ème), avant de partir dans le réseau de distribution sous pression. Mais le Canal de Marseille n’a pas qu’un intérêt sanitaire. Dès son installation, il a modifié le paysage marseillais en permettant aux agriculteurs et aux propriétaires d’arroser les champs et les jardins des bastides. C’est le début du maraîchage à Marseille, grâce aux rigoles d’irrigation gravitaire qui partent du canal et descendent vers la ville, permettant à la végétation de changer et de s’épaissir.

Pour entretenir sa branche « mère » et ses rigoles, le Canal de Marseille a ses propres techniciens, les aygadiers, qui ont droit de passage dans toutes les propriétés privées, man?uvrent les martelières et les pompes. Mais la Société des Eaux de Marseille, qui a hérité du canal et de ses aygadiers, a des soucis de rentabilité et n’a cure de la végétation ou de l’agriculture marseillaise. Voulant se recentrer sur son métier (l’eau potable), elle cherche donc à fermer toutes les rigoles d’irrigation partant du canal. Pour cela, rien de plus simple, il suffit de ne pas reconduire les droits d’eau aux nouveaux propriétaires et de leur proposer une irrigation par de l’eau sous pression. Petit à petit les rigoles sont abandonnées, et la SEM peut supprimer les postes d’aygadiers. Près de quarante il y a 20 ans, ils ne sont plus qu’une douzaine pour gérer les 80 km du canal.

La direction de la SEM se félicite d’une telle évolution. Bientôt le Canal de Marseille devrait être un gros tuyau d’où ne jaillira plus d’eau brute dispersée dans la nature et le paysage de Marseille s’en trouvera partiellement asséché. La SEM se justifie en rappelant que la ressource en eau est rare et qu’il faut limiter les prélèvements, et donc stopper le « gaspillage » dû aux rigoles… Les services techniques vont jusqu’à invoquer les incidents du début de siècle au sein des syndicats d’arrosants, qui avaient obligé les aygadiers à gérer toutes les rigoles. Comme si la SEM, en se reconcentrant seulement sur l’adduction d’eau potable, rétablissait enfin une injustice vieille d’un siècle… A l’époque, c’est le maire qui avait mis la Société des Eaux au service des agriculteurs et de la population péri-urbaine. Mais que vaut la parole d’un maire lorsque la rentabilité des investissements est en jeu ? Le maire de Marseille est-il seulement au courant ?

Etienne Ballan

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