Combien pour une PIP ?
Une pincée d’huile de silicone industrielle, un peu de Basylone (additif pour carburant), du Silopren et du Rhodorsil (pour enrober les câbles électriques). Tel était l’essentiel de la formule maison que Jean-Claude Mas avait mis au point pour ses prothèses mammaires PIP. Une formule rentable puisque le gel revenait à 5 euros le litre, contre 35 pour le Nusil, gel de silicone américain homologué (1). Mais une formule dangereuse car le Silopren et le Rhodorsil rongent l’enveloppe de la prothèse, favorisant les ruptures. Or, ces éléments ne sont pas neutres pour le corps. Au-delà du préjudice esthétique « du sein qui fuit », il y a un risque sanitaire qui peut aller de l’inflammation au cancer.
La veuve et la formule
C’est pour cette « tromperie aggravée » que Jean-Claude Mas, fondateur de l’entreprise PIP et quatre cadres sont convoqués devant la justice à partir du 17 avril. Un procès délocalisé au Parc Chanot à Marseille pour pouvoir accueillir plus de 5 000 plaignantes et plus de 200 avocats. « Voilà quatre ans que l’affaire a été révélée, explique Laurent Gaudon, avocat marseillais de 1600 plaignantes. Pour elles, ce sera l’occasion d’affronter celui qui les a trompées et mis leur vie en danger. Ce sera un procès pour retrouver leur fierté, pas pour être indemnisées. » Car l’argent des PIP a disparu ! Ou plutôt, comme son honorable confrère le Docteur Maure, Jean-Claude Mas a organisé son insolvabilité grâce à sa femme, Dominique Lucciardi (2). « C’est elle qui est propriétaire de la maison de Six-Fours (83) évaluée à 1,6 million d’euros, explique Sonia Bonnin, journaliste à Var Matin qui a révélé l’affaire. C’est également encore elle qui est propriétaire des deux bâtiments PIP sur la zone d’activité de la Seyne-sur-Mer (83). »
Dominique Lucciardi n’est pas seulement un prête-nom dans une affaire sordide. Chimiste de formation, elle était, avant de devenir Mme Mas, la femme du docteur Henri-Gilbert Arion, chirurgien à l’hôpital de Toulon et véritable inventeur de la formule maison, avec lequel elle dirigeait le laboratoire MAP. Jean-Claude Mas y avait été embauché comme commercial. Arion disparu dans un accident d’avion, Jean-Claude Mas récupère la veuve, la formule et l’entreprise. PIP était né. Ensemble le couple inondera le marché mondial des prothèses mammaires.
Aujourd’hui, à la Seyne-sur-Mer, malgré la pose de blocs de béton suite à un squat de Roms en 2011, l’usine est parfaitement accessible. Au rez-de-chaussée, les racks du quai d’expédition sont encore remplis de dizaine de milliers de boites PIP emballés. Il suffit d’ouvrir un carton à destination de la Colombie, qui avec le Venezuela représentait 25 % des ventes de PIP, pour dénicher une prothèse mammaire de type Velvet. « La PIP française était réputée dans le monde entier car, contrairement à la prothèse américaine ronde qui transforme la poitrine en obus, la PIP respectait la forme du sein de la femme », soutient Docteur Leps, chirurgien esthétique.
PIP et sacs plastiques
Velvet, Titanium et même asymétrique, la PME de la Seyne-sur-Mer était donc à la pointe de l’innovation, se plaçant au 3e rang mondial. « La pression était permanente, se souvient Corinne, ancienne salariée de l’entreprise qui a retrouvé du travail dans le bâtiment d’en face qui conditionne des produits Bio (sic). Tout le monde savait dans l’entreprise qu’on trichait, mais Jean-Claude Mas nous a tous fait croire que son gel était meilleur. Pourtant, quand les Allemands venaient pour certifier CE, il fallait cacher les fûts dans le transformateur EDF et remplacer les bordereaux des fournisseurs par ceux de Nusil. » Pendant 10 ans, TÜV, le leader européen du contrôle qualité, a reconduit systématiquement sa certification. Même quand des retours et des plaintes se sont faits plus nombreux à partir de 2009. Dans l’usine, on trouve même « le bureau des retours » où sont entassés des cartons de prothèses explantées dans des sacs plastiques venant du monde entier !
« TÜV téléphonait 10 jours avant leur inspection, s’emporte Laurent Gaudon. Si cette fraude a pu avoir lieu, c’est du fait de sa négligence. » Voilà pourquoi l’avocat et six distributeurs ont assigné l’entreprise allemande devant le tribunal de commerce de Toulon le mois dernier. Les distributeurs réclament 28 millions d’euros d’indemnités. « De notre côté, nous lui réclamons 16 000 euros par plaignante », confirme Laurent Gaudon. Mais le 22 mars, le parquet de Toulon a demandé au juge d’écarter la responsabilité de TÜV. « Au procès pénal à Marseille, on va même se retrouver sur le même banc qu’eux puisque le TGI l’a accepté comme partie civile contre Mas », souligne, dépité, Olivier Gaudon. Verdict le 17 mai.
Stéphane Sarpaux