« Il faut que le vin ait de la personnalité »

avril 2005
Un entretien avec Jérôme Paquette, ?nologue-consultant. Conseillé des vignerons des Côtes de Provence, de la plantation de la vigne jusqu'à la mise en bouteille, il est également vigneron au domaine de Curebeasse, à Fréjus.

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La technique ne risque-t-elle pas d’entraîner une uniformisation du goût du vin, la thèse du film Mondovino ?

Ce film est superbe. Le cinéaste a une critique pleine d’humour envers Michel Rolland (1), que je connais bien puisque j’ai fait mon stage chez lui à une époque où il était moins connu qu’aujourd’hui. La technique peut tuer le vin, mais elle peut aussi conduire à faire moins de technique. Personnellement, mieux je maîtrise la technique, moins je fais appel à elle. Elle peut être mise au service du vigneron. Plus on comprend ce que fait la nature, plus on respecte les équilibres naturels, moins on intervient. Nous sommes plus attentifs au terroir aujourd’hui.

On fait moins de l’?nologie d’intervention que de l’?nologie d’accompagnement et d’affinage. Je dis souvent à mes clients que je ne suis pas là pour faire mon vin chez eux, mais pour les aider à faire leur propre vin. Soit on fabrique des vins standardisés, anglo-saxons, qui ont grosso modo tous le même goût. C’est l’approche de Michel Rolland qui affirme, quel que soit le terroir, que si vous travaillez avec lui, vous ferez du bon vin. Soit on fait des vins différents. La standardisation, payante en termes économiques, ne m’intéresse pas du tout.

Vous représentez pourtant le technicien qui, comme Michel Rolland, vient dire au vigneron comment faire du bon vin. Comment faites-vous pour respecter le terroir ?

Une grosse partie de ma clientèle est composée d’investisseurs étrangers à la région et/ou au monde du vin.

A ces nouveaux propriétaires de domaines, je demande d’abord d’aller acheter une dizaine de vins dans l’appellation. Puis, parmi ces dix vins, je leur conseille d’en choisir 5 ou 6 qui viennent de leur secteur, de les déguster et de m’en parler. En fonction de ce qui leur a plu, de ce qu’ils m’en disent, je leur indique ce qu’il est possible de faire.

Personne n’est venu me voir pour faire du mauvais vin. Mais il faut définir ce qu’est du bon vin. La qualité se décline en trois points : le vin doit être gustativement bon, régulier dans le temps, original.

En clair, il doit avoir de la personnalité. C’est ça le terroir : la géologie, le climat, le vigneron, les choix que ce dernier va faire. Si un client veut faire du rosé élevé en barrique, même si personnellement ce n’est pas mon truc, je vais l’aider à trouver l’équilibre, à savoir ce qu’il veut dire à travers ça.

Est-ce que l’exportation est l’avenir des vins de Provence ?

Je n’en suis pas persuadé. On a la chance inouïe d’être dans une région où l’on importe le client, on n’a pas besoin d’exporter le vin.

Une image de vins de pique-nique, c’est un atout ou une faiblesse ?

Aujourd’hui, on se rend compte que les consommateurs ont envie de vins simples, faciles, plaisants. Les rouges du nouveau monde se vendent bien partout dans le monde car ils sont faciles à boire. Autrefois, nous étions culpabilisés de faire des vins de pique-nique. Aujourd’hui, nous l’assumons. L’enjeu est d’en faire des bons.

Que dire pour convaincre que le rosé, ce n’est pas de la « merde » ?

Il y a de superbes rosés. Que chacun tente un jour l’expérience suivante : se servir du rosé dans un verre noir, totalement opaque.

Rien que le fait de ne plus voir la couleur enlève ce formatage culturel et perturbe énormément.

L’important n’est pas de savoir si le rosé est vraiment du vin, au sens noble du terme. L’essentiel, c’est de se faire plaisir avec.

Propos recueillis par Gilles Mortreux

(1) Michel Rolland, un des personnages central du film Mondovino, de Jonathan Nossiter, est probablement l’?nologue consultant le plus célèbre au monde. Pour faire simple, on dira qu’il fait les vins qui plaisent à son ami Robert Parker, le très influent ?nologue américain. Son credo : le fût de chêne et la micro oxygénation.

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