Rove party aux portes de Marseille
Entre Le Rove et Gignac, la départementale 568 est encastrée dans le massif de la Nerthe. Puis tout à coup l’étang de Berre apparaît dans le pare-brise, barré par l’autoroute A55. C’est à peine si l’automobiliste de passage remarque les zones d’activité qui bordent la route. À droite, Roquebarbe étale ses friches, parsemées de vagues dépôts de véhicules ou de matériaux. À gauche, celle des Pielettes semble conforme à la définition d’une telle zone : un hôtel-restaurant à l’entrée pour employés ou clients de passage, des sociétés du bâtiment avec une imposante centrale à béton, un vendeur de pièces détachées auto, un service après-vente télécom, un grossiste de produits de piscine…
Mais une tout autre ambiance, celle d’un quartier résidentiel à flanc de colline, s’offre au visiteur égaré dans les voies pentues des Pielettes. Si les hauts murs et les portails électriques avec caméras semblent faire partie du kit de bienvenue, le bleu d’une piscine et le havre ombragé d’une paillote aguichent ici ou là le regard. Installé à son balcon, un couple entre deux âges profite d’un vendredi après-midi ensoleillé avec vue sur l’étang de Berre. « Le mas de Doumé », la « Casa Victoria » et l’inévitable panneau « Chien méchant » confirment les doutes : tout un pan de la zone d’activité est devenu un lotissement clandestin.
Local « piscinable »
Pourtant, le plan local d’urbanisme (PLU) du Rove est formel : dans cette zone d’activité économique, « les constructions à usage d’habitation sont interdites ». En théorie, les 4500 habitants du Rove sont tous situés sur l’autre versant de la Nerthe, au village et dans les calanques de La Vesse et Niolon. « Les logements de fonction sont autorisés, note-t-on dans une des enseignes de la zone d’activités. Mais il y en a qui trichent… » Qu’ils soient plombiers, électriciens ou créateurs de bijoux, les entrepreneurs et artisans des Pielettes mettent un point d’honneur à rendre leur lieu de travail confortable au point qu’ils n’ont plus grand chose à voir avec un local d’activité. Lorsqu’on prend un peu de hauteur, le constat est impressionnant : l’ouest de la zone est entièrement occupé par des maisons avec piscine. En toute illégalité. Ce n’est pas une surprise si le restaurant pour employés est à la peine…
« Il y a eu des abus », reconnaît le maire de la commune Georges Rosso (PCF) qui a « fait faire de nombreux procès-verbaux d’infraction ». Autre conséquence, « dans la révision du PLU nous avons supprimé cette possibilité d’un logement de fonction ». En attendant, la communauté urbaine de Marseille – et maintenant la métropole – procède bien au ramassage des déchets de ce quartier fantôme. Les villas avec vue sur l’étang de Berre des Pielettes ont même fait leur apparition sur le marché immobilier, à côté des locaux d’activité. Le web garde encore la trace de quelques annonces, même si une agence qui revient fréquemment a fermé ses portes en début d’année. Jointe par téléphone, une vieille dame reconnaît avoir loué l’ancien logement de fonction de l’entreprise de son défunt mari, mais plaide la bonne foi. « On s’en aperçoit aussi lorsque quelqu’un vient faire un papier pour l’école, raconte Georges Rosso. On les interroge : “Vous habitez aux Pielettes, mais pourquoi ?” Et là ils nous disent qu’ils ont un bail… »
Activité barbecue
Face à l’ampleur du phénomène, on peut s’étonner du laisser-aller des autorités. « Quand j’ai transmis au procureur, ma mission est terminée, estime Georges Rosso. Le problème, c’est que la justice met plusieurs années pour traiter. Quand elle traite… » Au parquet d’Aix-en-Provence, dont dépend la commune, on s’étonne de ne pas avoir été alerté plus énergiquement sur ce détournement de toute une zone d’activité. On peut aussi s’interroger sur la vigilance de l’examen de certains permis de construire par la municipalité.
Au sein de la zone, cette cohabitation ne semble pas (ou plus) choquer les entreprises. L’une d’entre elles, qui officie dans le terrassement, s’active d’ailleurs sur l’une des constructions en cours. Une forme d’économie en circuit court comme une autre… Dans la partie la plus à l’ouest, non loin du pont qui enjambe l’autoroute pour rejoindre Gignac, les habitations semblent remonter à de longues années. Face à nos questions, le gérant d’une des entreprises s’étonne même que l’on s’intéresse à ce sujet, « alors que ça dure depuis 30 ans ». Mais les parpaings nus qui s’alignent au fil des ruelles témoignent de l’actualité de cette pratique.
Georges Rosso note que « dans la zone des Pielettes, on est plutôt enclin à fermer des entreprises qu’à en ouvrir ». De là à y voir une bonne raison de laisser couler le béton pour pallier ce remplissage poussif… Pour le maire, malgré la bonne desserte du secteur (A55 et D568), il manque quelque chose aux Pielettes et à Roquebarbe : « Le schéma de cohérence territoriale (voté par la communauté urbaine en juin 2012, ndlr) interdit les magasins alimentaires dans les zones économiques. Mais l’alimentaire c’est le moteur d’une zone ! » Faute de centre commercial pour les y attirer, peut-être les curieux peuvent-ils se faire inviter pour un barbecue au bord d’une piscine.
Julien Vinzent
Cette enquête de la rédaction de Marsactu a été publiée dans le Ravi n°140, daté mai 2016