Economie : rencontre du 3ème type

novembre 2005
Entre le secteur public administré et le secteur privé régi par la seule loi du marché, tente de s'affirmer un « tiers secteur » qui regroupe plus de 12 % des salariés de la région : l'économie sociale et solidaire. Associations, coopératives, mutuelles s'y côtoient. Et cherchent, avec plus ou moins de bonheur, à mettre en ?uvre un ambitieux programme : produire, travailler et consommer autrement.

L’économie sociale et solidaire, « ESS » pour les intimes. Qu’es aquò ? En Paca, 39 000 associations, fondations et entreprises d’insertion par l’économie ; 3700 coopératives ; 800 mutuelles. En 2004, pas moins de 12,4 % des salariés et 7,8 % des employeurs de la région. Près de 13 % de l’activité économique, autant que l’industrie ou que le secteur du tourisme. « 750 000 personnes sont impliquées, parfois bénévolement, dans une association, une mutuelle ou une coopérative, presque un habitant sur cinq de la région, souligne André Arnaudy, président de la Cres-Paca (Chambre de l’économie sociale). Le paradoxe, alors que nous sommes partout présents dans la vie économique et sociale, c’est que nous ne sommes pas bien identifiés et que le lien se fait souvent difficilement entre nos différentes structures ». Sous le « label » ESS, sont regroupés des réalités juridiques, des domaines d’activités, des structures de nature et de poids très différents. Une association, par exemple, entre de plain-pied dans l’économie sociale et solidaire lorsqu’elle conjugue bénévolat, activité marchande à des fins non lucratives et aides publiques. Economistes et acteurs ne s’accordent pas tous sur les définitions, mais la nébuleuse « ESS » se situe quelque part aux frontières de l’économie administrée et du secteur privé. Pour la troisième année consécutive, novembre est baptisé « mois de l’économie sociale et solidaire en Paca ». Concrètement, une trentaine de manifestations sont programmées dans la région, certaines destinées au grand public. Mais le chemin pour la visibilité et la reconnaissance est encore long.

« L’utilité sociale et environnementale, le vivre mieux, la meilleure répartition des richesses, du pouvoir, priment sur la recherche du profit. » Bruno Lasnier, directeur de l’Apéas

« Lorsqu’en 1998, après mon élection, j’ai affirmé ma volonté de faire de l’économie sociale et solidaire un axe prioritaire de notre politique de l’emploi, j’ai fait mourir de rire beaucoup de gens, reconnaît Philippe Chesneau, vice-président au Conseil régional délégué à l’emploi et aux politiques territoriales (Vert). En 2004, en revanche, l’ESS était mentionnée en bonne place dans le programme d’union de l’actuelle majorité ». Depuis janvier, la Région a lancé un « séminaire permanent de l’économie sociale et solidaire ». Des rencontres ont eu lieu à Marseille, Valbonne, Forcalquier. Plus de 300 personnes s’y sont impliquées. Autre action : la mise en place de « créactives », conventions permettant de subventionner sur une longue durée – 3 ans – des projets relevant de l’ESS et répondant à des contrats d’objectifs.

D’autres collectivités territoriales s’engagent également : le Conseil général des Bouches-du-Rhône a créé une délégation à l’économie solidaire. « Pendant très longtemps, les gens avaient presque honte de se revendiquer de l’économie sociale solidaire, un truc pour les pauvres datant du 19ème siècle, poursuit Philippe Chesneau. Les acteurs prennent peu à peu conscience qu’ils appartiennent à une même famille et ont tout intérêt à fédérer leurs forces pour exister ».

Nabil M’rad a fondé à Marseille la coopérative « Energies alternatives », qui aide des chômeurs à créer leur entreprise en combinant entreprenariat classique et mutualisation des moyens. Il déplore lui aussi le poids des préjugés et la méconnaissance de certains professionnels. « Prenez n’importe quelle formation continue destinée aux créateurs d’entreprise, le plus souvent l’existence des Scops n’est même pas mentionnée ». Scop ? Une société coopérative de production. Elle est la propriété de ses salariés. Le directeur est élu lors d’une assemblée générale. Un homme égale une voix, quel que soit l’apport financier de chacun. Au moins 25 % des profits sont redistribués aux salariés-coopérateurs… « Actuellement 200 salariés supplémentaires intègrent une Scop en Paca tous les ans, souligne Xavier Post, délégué à l’union régionale des Scops. Mais les experts-comptables et autres grands conseillers en matière de création d’entreprise nous boudent toujours car nous ne cadrons pas avec leurs croyances idéologiques. Et ils ne sont pas les seuls : notre statut a longtemps suscité de la réticence auprès de certains syndicalistes qui perdent chez nous leurs repères traditionnels. »

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Travailler dans une Scop, une association ou une mutuelle n’est pas forcément le paradis. « On trouve dans l’économie sociale les pires pratiques patronales, reconnaît Philippe Chesneau. Par ailleurs, certains acteurs subissent tellement l’influence de l’univers capitaliste qu’ils en perdent leur spécificité. La caricature c’est le Crédit Agricole, devenu une banque internationale où les principes de l’ESS semblent bien difficiles à discerner ». Conjuguer bénévolat et salariat dans une association comporte aussi des risques : précarité, flexibilité et autres joyeusetés sont souvent au rendez-vous… Très attachés à la citoyenneté économique, au respect, précisément, des principes portés par les pionniers de l’économie sociale, des acteurs mettent en avant la question du « sens » et des « valeurs ». C’est le cas, en Paca, de l’Agence provençale pour une économie alternative et solidaire (Apeas) fondée en 1995. « L’économie solidaire reprend les principes de l’économie sociale – la mutualisation, la solidarité, la coopération – sans se soucier des formes juridiques que les structures peuvent prendre, explique Bruno Lasnier, directeur de l’Apeas. Certaines mutuelles ne se distinguent pas réellement des assurances classiques… Inversement, un commerçant qui quitte son centre ville et choisit d’installer sa SARL dans un petit village en modérant ses prix et en offrant ses services pour tenter de lui redonner un peu de vie, participe de l’économie solidaire. Dans ce dernier exemple, l’utilité sociale et environnementale, le vivre mieux, la meilleure répartition des richesses, du pouvoir, priment sur la recherche du profit. » C’est dans cette sphère que s’inscrivent les initiatives relevant du commerce équitable, les expériences d’épargne solidaire (Cigales, Nef…), les réseaux d’échanges et de savoir (Sels…). Ou le système des Amaps (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) dont le succès ne se dément pas : un groupe de consommateur s’engage à acheter à l’avance, à un prix fixe, une part de la récolte d’un agriculteur, un « panier » hebdomadaire, sur une période donnée… 3000 familles et 70 producteurs ont déjà intégré une Amap dans la région à l’initiative de l’association Alliance Provence.

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« Economie solidaire et économie sociale se fondent sur des valeurs communes, soutient André Arnaudy, président de la Cres-Paca. Nous faisons la démonstration qu’une autre façon de vivre et de produire est possible. Ce qui dérange parfois. Le gouvernement est très inspiré du modèle binaire anglo-saxon dans lequel il y a d’un côté le « marché » et de l’autre le « subventionné » qui a pour vocation de récupérer les exclus du premier. Tenter de réduire l’économie sociale et solidaire au caritatif est une vision restrictive. Mais le risque est désormais réel en France. » Après la suppression par Jean-Pierre Raffarin du secrétariat d’Etat à l’économie solidaire, Dominique de Villepin a annoncé son intention de « transformer » la délégation interministérielle « à l’innovation sociale et à l’économie solidaire » en supprimant toute référence à cette dernière. Reste que l’ESS est une idée qui fait son chemin en créant chaque année 2300 emplois selon la Cres. « Dans le domaine des coopératives d’activités, celui des « couveuses d’entreprise », les acteurs se rajeunissent et se féminisent », affirme Nabil M’rab. Autre indicateur : les salariés confrontés à une « restructuration » tentent de plus en plus souvent de reprendre leur entreprise sous la forme d’une coopérative. Récemment, les « Lustucru » à Arles ont échoué mais les ouvriers de la fonderie d’Argentière-la-Bessée (Hautes Alpes) ont sauvé leur emploi en fondant une Scop. Le commerce équitable sort de son ghetto et séduit de plus en plus le grand public. « Nous aurons gagné, souligne Bruno Lasnier, lorsque le « B » de PIB – à l’aune de quoi on évalue le dynamisme de nos sociétés – se réfèrera aussi au « Bonheur apporté », à l’efficacité sociale et environnementale de toute activité ».

Michel Gairaud

AU SOMMAIRE

Des Mutuelles en convalescence

Des emplois pas toujours équitables

Le tout, c’est de coopérer

On se lèvent tous pour Lélu !

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