Decaux fait dérailler la métropole
Dix ans. Dix ans en 2017 que les « Vélos » de Decaux ont investi Marseille ou du moins son centre-ville. Dix ans aussi qu’un petit conflit, certes silencieux, pourrit ce qui semblait être une relation sans nuage. Et comme cadeau d’anniversaire, alors que Decaux exploite toujours abris de bus, de tram, panneaux divers et variés, la métropole a été condamnée, en décembre, à payer quelques 506 855,76 euros de dommages et intérêts à la société. L’objet du conflit n’est autre que… des publicités sur les vélos.
L’histoire est cocasse : Decaux a attaqué la collectivité car cette dernière, trois semaines avant la mise en service des 1000 vélos et de leurs stations, avait demandé à ce que les vélos n’aient pas de publicité. Le jugement indique que « par un courrier du 21 septembre 2007, la communauté urbaine a informé la société JC Decaux Mobilier Urbain de son intention de “limiter l’impact publicitaire dans les sites sensibles de la ville de Marseille et en particulier dans l’hyper-centre” ». Vous ne rêvez pas, MPM, alors dirigée par Jean-Claude Gaudin, évoque la lutte contre la pollution visuelle de la publicité.
Limiter l’impact publicitaire
Seulement, le marché passé avec Decaux prévoyait cette publicité sur les vélos, ainsi que sur les 106 abris de tram, 105 « mobiliers urbains publicitaires et d’information de 2 mètres carrés ». Decaux a même fait constater par huissier que « 313 vélos avaient déjà été munis de dispositifs publicitaires au profit de la société HSBC », apprend-on dans le jugement. Condamnée en première instance en janvier 2015 à payer 280 000 euros à Decaux, la communauté urbaine de Marseille a fait appel. Bingo : la voici de nouveau condamnée et cette fois-ci sur la base financière de ce que demandait la société à savoir plus de 500 000 euros, « augmenté des intérêts ». Entre temps, réforme des collectivités oblige, c’est la métropole, dirigée par Jean-Claude Gaudin, encore lui, qui a hérité du dossier.
Cette dernière se contente sur ce dossier de faire savoir qu’elle n’ira pas plus loin dans la contestation de cette condamnation. Dommage, il aurait pu être intéressant d’avoir des explications sur les motivations de retrait de la publicité de l’époque. « Nous ne faisons pas de commentaires », expédie pour sa part JC Decaux.
Impossible hélas d’avoir une réponse de la part de Renaud Muselier, alors premier adjoint de la ville de Marseille en charge du dossier. On peut s’étonner que l’équipe de Jean-Claude Gaudin, pas vraiment du genre à lutter contre la pollution visuelle, se découvre, si près de l’installation des vélos, une passion environnementalo-patrimoniale. Surtout en signant simultanément, comme le fait toujours Decaux, un contrat pour des espaces pub dans toute la ville. Peu avant que le marché ne soit passé, le concurrent américain Clear Channel avait même dénoncé dans un communiqué le tapis rouge déroulé par la municipalité à Decaux, y voyant « des éléments constitutifs d’abus de position dominante et de tacite reconduction ». En 2009, l’ampleur du marché a même été étendue avec de nouveaux espaces publicitaires…
« Que Decaux, à qui la droite a offert l’espace public depuis des décennies, en vienne au procès, c’est étonnant », réagit le socialiste Eugène Caselli. Il a pris la tête de la communauté urbaine à partir de 2008 mais ne « se souvient pas » de cette procédure. Selon le jugement, c’est pourtant sous sa mandature, en juillet 2009, que « la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole a informé la société JC Decaux Mobilier Urbain qu’elle était à nouveau "pleinement autorisée à exploiter à des fins publicitaires les espaces prévus à cet effet sur les vélos" ».
400 euros par vélo
Mais les pubs ne se sont pas bousculées après cette date. Elles étaient pourtant censées compléter les recettes et la contribution de la collectivité (38 millions d’euros sur 15 ans, soit 2,5 millions par an). À l’origine, chaque emplacement sur vélo avait été vendu à HSBC pour la modique somme de 400 euros hors taxes par an. Sortons la calculette : 400 000 euros par an pour 1000 vélos, soit 1,2 millions d’euros hors taxes pour 36 mois.
À Toulouse, l’apparition simultanée des vélos et de leurs publicités ambulantes n’avait pas manqué de faire réagir l’opposition socialiste. À l’époque, la société expliquait dans un communiqué que « la publicité sur les vélos, contribu[ait] au financement du service ». Pas évident du côté de l’utilisateur, pour qui le service est plus cher qu’à Marseille. Quant au coût pour la collectivité, a-t-il été abaissé en fonction ? La question est d’autant plus intéressante qu’un rapport de l’inspection générale sur les vélib parisiens pointait, à l’automne, un manque de transparence et de lourdes pertes pour la collectivité : 13 millions d’euros pour 2013.
Au final, c’est la communauté urbaine elle-même qui a fini par utiliser le fameux garde-boue en 2014. S’inspirant d’une action de l’association Vélos en Ville , elle indiquait le temps pour rallier à vélo les différents lieux phares de la ville. Avec les 500 000 euros qu’il va empocher prochainement, et si Decaux offrait des espaces publicitaires gratuits à la capitale européenne du sport, histoire de boucler la boucle ?
Clémentine Vaysse (Marsactu)
Cet article a été publié, en partenariat avec Marsactu, dans le Ravi n°147 daté février 2017