On se lève tous pour Lélu !

novembre 2005
Le salon de l'économie solidaire bat son plein. Les stands rivalisent d'imagination pour proposer un monde plus juste, moins hostile, moins impitoyable. Sam Ravi arpente les allées de cet univers convivial et solidaire. Sûr qu'il ne regrette pas son travail de reporter, payé une misère, pour le journal qui incarne avec brio « l'alter-information » en PACA. Soudain, il se fige...

Sam Ravi : Monsieur Lélu ?!!! Mais que faites-vous derrière ce stand ? C’est réservé aux exposants… (Lélu est là, en effet, vêtu d’un pull en laine de chèvre du Haut Var un peu trop petit qui laisse dépasser son ventre.)

Lélu : Eh bien, sachez que moi, monsieur, je suis un entrepreneur solidaire ! Té, ça y est, il me fait sa tête de gobi pas frais. Ca faisait longtemps. (Il boit une large rasade de pastis biologique.) Je vais t’expliquer, petit.

Sam Ravi : Vous ? Entrepreneur ? Solidaire en plus ? Alors là, je rêve…

Lélu : Vous connaissez cette association « On se lève tous pour Lélu » ? Une association loi 1901 située pas loin de ma mairie ? Et bien, nous avons reçu le prix du meilleur employeur solidaire. Et il faut dire que nous, ont fait de tout : du jeune, du vieux, du handicapé, de l’Arabe, de la femme battue et tutti quanti.

Sam Ravi : Mais enfin, vous ne pouvez pas parler comme ça des minorités qui composent la République ! C’est une honte.

Lélu : Ô pôvre, (il pouffe de rire) appelez ça comme vous voulez, mais n’empêche que moi, si je leur donne pas un boulot, y’aura degun pour s’en occuper. C’est ça être solidaire.

Sam Ravi : Mais enfin, une association qui s’appelle « On se lève tous pour Lélu », c’est une permanence électorale à peine déguisée… Tout le monde le sait.

« Alors les leçons de morale, ça va un moment. Soyons solidaires, c’est la chenille qui redémarre… » Lélu, digne représentant de la République

Lélu : Ah, chez moi, môsieur, ils font du travail d’intérêt citoyen ces braves gens. Ils contribuent au… putain, comment on dit déjà ? (Il se tourne vers son attaché qui lui murmure quelque chose à l’oreille.) Ah oui. On contribue à la revitalisation de la démocratie. (Il met la main sur son c?ur et déclare en se trémoussant : ) Putain, y gratte ce tricot.

Sam Ravi : Et vous faites quoi exactement dans cette association ?

Lélu : Bon, on est surtout actifs en période électorale. On fait des affiches, on distribue des tracts. On aide les éléc… euh, les citoyens je veux dire, à se faire une opinion, à mieux apprécier la contribution de la mairie à la vie de tous les jours. Ce genre de choses quoi.

Sam Ravi : Dites-le carrément : ces gens, ils font campagne pour vous.

Lélu : Ah, pas du tout, ils sont libres de leurs opinions…

Sam Ravi : Mais comment vous les financez, tous ces gens ?

Lélu : Ah ben, c’est ça qui est génial. C’est mon assistant qui a trouvé le truc. On prend tout ce qui passe : les emplois jeunes, les emplois tremplins, les contrats emploi solidarité. Bon évidemment c’est pas du premier choix, mais on s’en fout, c’est l’Etat qui raque…

10rv24tonelelu.gif

Sam Ravi : Quoi ?

Lélu : Eh ben, si on a une aide de l’Etat aux associations pour embaucher du jeune, on cherche un jeune. Si c’est du pognon pour les handicapés, ben on prend un handicapé. Un ancien d’Algérie avec un bras en moins, pour le service d’ordre c’est le tôpe. Vé, c’est pas compliqué. Sauf pour les papiers, mais c’est mon assistant qui s’en occupe. Alors, bon…

Sam Ravi : Mais si je comprends bien, vous profitez des aides de l’Etat pour financer votre activité politique ?

Lélu : Oh, pas que de l’Etat ! On a plein de subventions du Conseil général et de la Région aussi. Et bien sûr, la mairie fait un geste. Normal, un maire comme moi, aussi sensible à la cause des pôvres gens.

Sam Ravi : Mais c’est donc vrai ce que l’on dit, que les élus s’appuient sur les associations qu’ils financent grâce à leurs mandats ?

Lélu : Ah, mais moi je crée de l’emploi. C’est même pour ça qu’ils m’ont donné le prix du meilleur employeur solidaire. Pensez, plus étranger aux dures lois du marché que moi, c’est simple y’a pas !

Sam Ravi : Mais…

Lélu : Mais, mais… vous savez dire que ça. On dirait la chèvre de môsieur Seguin. Qui c’est qui se les fade, les associations, dans sa permanence ? Toutes à mendier. Et vas-y, le festival Dejeumebé avec du ragamofine, le spectacle des endroits, quoi ? (Il se tourne vers son conseiller) Ah, oui, « L’art des lieux », le chose avec plein de jeunes dans la garrigue… Et les pièces de théâtre que j’y pige que dalle… (Attiré par la voix tonitruante de Lélu, un petit groupe se forme, ce qui produit un effet soudain sur notre digne représentant de la République) euh… et puis, je suis fier de donner une raison à des gens de se lever le matin. Chez moi, à « On se lève tous pour Lélu », ils ont un objectif dans la vie.

Sam Ravi : Oui, faire élire Lélu.

Lélu : Et alors ? Vous croyez que Lopozan il les paye comment, lui, ses campagnes ? Et les beaux tracts où il me traite de corrompu, qui c’est qui les imprime ? Les employés qu’il a fait rentrer au CG ! Alors les leçons de morale, ça va un moment. Soyons solidaires, c’est la chenille qui redémarre… (Il se joint à la grande chenille solidaire qui parcourt le salon sur une musique reggae en chantant à tue-tête 🙂 « Guetteupe, standeupe. Standeupe faure you raïtes… »

Propos recyclables recueillis via bio transfert par Guillaume Hollard

Imprimer