Comme un avion sans ailes…
A bord de notre vieux monomoteur, après avoir décollé de Marseille, on atterrit peu après dans le centre-ville de Saint-Victoret (13), au bout des pistes de Marignane. Le ciel est passablement encombré. Au-dessus de notre tête, une Alouette ! Pas le volatile ni la paupiette mais l’hélicoptère, perché au-dessus du mémorial d’un pilote avec un nom d’homme-canon : Jean Boulet.
Au milieu d’une demi-dizaine de véhicules de pompiers, juché sur trois colonnes, un canadair : le clou du Mémorial des soldats du feu. Et celui par qui tout a commencé. Car, depuis que cet aéronef a été sauvé de la casse, ce n’est pas un ou deux « coucous » qui ont atterri ici, mais des dizaines.
Depuis 2006, cette commune de 6000 habitants abrite un « musée de l’aviation » qui fait la fierté de son maire (DVD), un ancien d’Eurocopter, Claude Piccirillo, et qui fait partir en vrille un ancien pilote de l’armée de l’air, Pierre Gelfie. Président de l’association Saint-Victoret à vivre et désormais figure de l’opposition, il commence la visite par l’arrière du musée. Où l’on trouve de sympathiques petites maisons ouvrières.
SUPER FRELON… ET OPPOSANT
Sauf que le musée vient de récupérer un Super-Frelon, le plus gros des hélicos de l’ancêtre d’Airbus. Il va donc falloir agrandir l’édifice. Et raser deux maisons. Dont celle de mamie Odette, 83 ans. Coût de l’extension ? Pas loin de deux millions d’euros dont un qui devrait être pris en charge par le Département ! De quoi faire hurler l’association.
« Comme s’il n’y avait pas, peste l’ancien pilote, d’autres priorités ! Le maire lui-même a reconnu qu’à terme, le musée sera trop petit et devra déménager. C’est le problème de ces villes qui se cherchent une identité. Nous sommes au pied des pistes mais on ne bénéficie pas des retombées de l’aéroport. Nous avons les nuisances sans les avantages. Alors, avec ce musée, le maire croit tenir le bon filon. »
De fait, il n’y a pas que les avions que le maire collectionne. Il y a les salles. A côté du musée de l’aviation, il y a la salle Huguette Léotard (du nom d’une figure de la commune qui, accessoirement, était de la famille du maire et du 1er adjoint) ; non loin de l’espace associatif Mistral, l’espace culturel Le Ménestrel et, inauguré en avril par la patronne LR du Département, Martine Vassal (qui en a financé la moitié), l’Odéon, une salle qui peut accueillir un habitant sur dix !
Le maire collectionne aussi les plaques en marbre. Au frontispice du musée de l’aviation, il y en a deux : une pour l’« inauguration », une pour l’« extension ». Mais, ne soyons pas si terre-à-terre ! Pour 3 euros, on prend notre envol pour atterrir dans… le monde des bateaux ! La première salle rassemble des maquettes de navires dont certains, note le pilote, « n’ont rien à voir avec l’aviation ! » Même reproche devant les mannequins : au milieu des pilotes, « un gendarme et un légionnaire qui n’ont rien à faire là ! »
La salle des machines ne trouve guère plus grâce à ses yeux : « Difficile sans explication de savoir où se situent ces mécanismes et leur rôle. Mais ça a dû faire de la place chez Eurocopter. » Même sentiment devant l’alignement de cadrans, d’instruments de vol qui s’entassent derrière les vitrines. Une dernière porte et l’on accède enfin au saint des saints !
Sauf que, dans un musée consacré à l’aviation, le premier engin sur lequel on tombe, c’est un hélico ! Une Gazelle que notre pilote couvre d’éloges. Avant de se ressaisir : « Vous le voyez, ici, on mélange avions et hélicoptères, appareils civils et militaires… » C’est vrai que c’est un peu le bazar. Il y en a partout, jusqu’au plafond où sont suspendus un deltaplane et un planeur. Et ce n’est pas fini, comme l’avoue un bénévole : « Malgré l’extension, avec le Super-Frelon, le musée sera toujours trop petit. » Mais quand notre pilote le titille, le mécano change de fréquence : « Moi, je fais de la mécanique, pas de la politique ! »
Comme dirait le Petit Prince, dont la planète prend la poussière dans un coin, revenons à nos moutons. Il y a là des hélicos de toutes tailles, de toutes sortes : un vieux de l’armée, un rutilant de luxe, un qui s’est posé en haut de l’Himalaya… Le clou de l’expo, c’est le « X3 », le seul avec ses hélices sur les côtés à pouvoir aller plus vite que le TGV. Mais à peine sort-on du cockpit d’un Canadair qu’on tombe dans un trou d’air : « Le maire nous a repérés ! »
LE MAIRE EN VRILLE COMME GUIDE
Nous filons en rase-motte, direction les rares avions du musée de l’aviation : l’ancêtre de l’Alpha-Jet de la Patrouille de France, un Mirage 3… Patatras ! L’édile, flanqué de deux agents de surveillance de la voie publique, fond sur nous comme un kamikaze : « Qui vous a donné l’autorisation de faire un reportage ? », tempête-t-il avant de faire feu de tout bois. « Ici, ce n’est pas public, c’est privé ! C’est un musée municipal, tenu par une association. » C’est vrai qu’il y a de quoi s’y perdre : le président et celui d’honneur du musée sont membres du conseil municipal, le 1er adjoint fait partie des bénévoles et le patron, ici, c’est M. le maire.
Qui sort la grosse artillerie : « On vous donnera l’autorisation de faire votre reportage, parce que nous sommes des démocrates, mais à condition que l’on soit d’accord sur ce que vous allez écrire ! » Face aux menaces de poursuites et entre deux piques contre notre pilote qui bat en retraite, nous protestons. Notamment quand il réclame un « droit de regard ». Mais, à force de manœuvrer, on assiste, sans trop y croire, à un retournement digne d’un spectacle de voltige aérienne : alors qu’il était à deux doigts de nous mettre dehors, voilà que l’édile se transforme en guide et, pour nous en prouver la qualité, nous fait visiter son musée !
Intarissable, il multiplie les anecdotes, actionne les mécanismes, prend à témoin les bénévoles, les visiteurs. « Si nous n’étions pas des gens sérieux, vous croyez qu’Eurocopter nous aurait confié le « X3 » ? Que le pilote qui a posé son hélicoptère au sommet de l’Himalaya aurait accepté de se voir remettre ici la médaille de l’aéronautique ? »
Et de s’ébahir devant les milliers de maquettes qui nichent au 1er étage : « Regardez comme c’est beau ! Comment peut-on être contre ça ? Surtout quand on est soi-même pilote ! Un colonel ! Qui est encore instructeur ! », s’exclame-t-il, fustigeant tout au long de la visite ses opposants.
Nous sommes même invité à visiter les ateliers. Avant de remarquer, au fond du musée, une pièce d’exception. Garé derrière un hélico, une Citroën 2CV2 ! « Elle est à moi, perso. Elle vaut 10 000 euros. Elle est nickel ! Je suis un maniaque. Pour bosser dans l’aéronautique, c’est obligé. Sinon, on ne vous garde pas. Si vous faites les choses à peu près, l’avion, il tombe ! » Ça, c’est de la chute…
Sébastien Boistel
Immobilier en rase-motte
A Saint-Victoret, avec Marignane à côté, les bâtiments ne doivent pas dépasser une certaine hauteur. Est-ce pour ça que l’immobilier fait du rase-motte ? En 2008, la ville achète 65 000 euros une maison de 48 m2 sur 176 m2 de terrain. En juin 2015, Mireille Viguier écrit au maire pour l’acheter 38 000 euros, conformément à l’avis des Domaines, ajoutant qu’elle est en « ruine », ce que les Domaines n’indiquent pas. Une vente avalisée par le conseil municipal le 23 juin.
Or, comme le pointe l’opposition (avec Anticor, l’association contre la corruption), Viguier, c’est le nom de jeune fille de Mireille Buanic, en photo parmi les « bénévoles » dans le guide du musée de l’aviation ou dans le journal municipal comme « chargée de mission ». Une proche du maire : c’est sa « secrétaire » ! Qui, avant de nous renvoyer vers le maire, « ne comprend pas nos questions. La maison, c’était 4 murs qui tombaient, avec les voisins qui se plaignaient. Il y a eu pour 200 000 euros de travaux ! » A titre indicatif, les deux maisons de 50 m2 sur 200 m2 de terrain qui vont être rasées pour étendre le musée de l’aviation ont été achetées par la mairie 170 000 euros.
S. B.
Reportage paru dans le Ravi n°164, daté juillet-août 2018