Un ange passe en mairie

mai 2006
Bogosse est triste. Ses efforts n'ont guère été couronnés de succès et Lélu désespère de lui voir accomplir quelques progrès. Bref, son statut de dauphin et de successeur désigné commence à être compromis. Pour tenter de remonter la pente et comme le lui a conseillé Lélu, il a acheté un dictionnaire de citations.

Acte 1 : 7h30 du matin, au domicile de Bogosse

Au moment où Sam Ravi, notre reporter indiscret, se glisse dans la pièce, Bogosse est seul, face à son miroir, son dictionnaire de citations à la main.

Bogosse (Tournant les pages au hasard) : Entre ici Jean Moulin !… ouais, pas mal. Et celle-là : Je vous ai compris ! (Il la répète plusieurs fois sur tout les tons.) Ah, ouais, celle-là, elle jette carrément ! Je vais la garder. (Il resserre sa cravate, se racle la gorge.) Pacadiens, Pacadiennes de tous les pays, je vous ai compris ! Ça, c’est un bon début. Pas mal, ce livre. (Il se redresse et s’adresse à son reflet dans le miroir.) Putain, je suis bon aujourd’hui ! (Il tourne les pages de son dictionnaire et marmonne.) Y me le dit tout le temps, Lélu, y faut s’arranger pour parler à tout le monde à la fois. Si avéque ça il me garde pas… (Il consulte son agenda.) Bon, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ? Ah, cool ! Une rencontre avec les communautés religieuses à 18 heures à la mairie. Je vais préparer un discours de derrière les fagots… Le vieux, y va pas en croire ses yeux.

Acte 2 : 18 heures, réception des communautés religieuses sur le parvis de la mairie

Un bruit de pétarade se fait entendre. Lélu et les dignitaires religieux aperçoivent Bogosse qui arrive sur sa nouvelle Harley Davidson (grâce à elle, il n’a besoin de personne !). De loin, on distingue seulement une immense robe safran. Lorsqu’il approche sur son terrible engin, on constate qu’il porte une kipa ainsi qu’une immense croix autour du cou. Il est chaussé de babouches (pas facile pour passer les vitesses). Le réservoir de sa moto est décoré d’une photo suggestive de Clara Morgane dont les parties les plus intimes sont dissimulées par un autocollant « Jésus est abonné à l’OM».

Bogosse (Un peu impressionné, il entame son discours d’une voix tonitruante) : Comme disait Martin Burger King : Ail à deux d’rimes cette nuit, eh oui, car voyez-vous je rêve en anglais, je nous ai vus tous unis et ne cédant pas au côté obscur de la force. Alors, Pacadiens, Pacadiennes de tous les pays, unissez vous ! Le bout du tunnel n’est peut-être pas si loin et celui de la L2 non plus, inch’Allah.

Un silence de plomb accueille ces propos sentis et républicains. Lélu, blême, commence à avoir les paupières qui parpelègent. Prenant ce tic nerveux pour un clin d’?il complice, Bogosse continue de plus belle.

Bogosse : Au début était le verbe, maintenant on a le tram, alors que demande l’opium du peuple ? C’est, je vous le dit, un petit pas pour l’homme, un grand bond salué même par l’Humanité et même par la Provence, Var matin, Nice Matin et Moto plus. Que cela vous soit dit : ici, on respecte l’Eglise, la Synagogue, et on se lève tous pour la Mecque.

Interloqués, surpris, les représentants commencent à être pris d’un fou rire dont le refoulement leur fait venir les larmes aux yeux.

Bogosse (Il se parle à lui-même) : En plein sur la corde sensible ! Quel orateur, faire pleurer toute une foule en deux minutes !

Une scène attendrissante a alors lieu. Un rabbin et un imam se tombent dans les bras l’un de l’autre et pleurent (de rire). Lélu est en proie à des sueurs incontrôlables et à des tremblements irrépressibles de la jambe droite. Il décide de couper court alors que Bogosse entame la deuxième page de son discours, et se met à applaudir fébrilement. Par diplomatie, tout le monde s’exécute. Bogosse, ravi de son effet, se met alors à entonner un youyou à faire pâlir de jalousie une grand-mère oranaise.

Bogosse (enthousiaste) : Je vous invite à boire un verre de l’amitié fraternelle entre les peuples unis…

19 heures. Les discussions vont bon train. Bogosse, fier de son accoutrement et d’avoir enfin compris la diversité républicaine, entreprend d’aller parler au grand mufti qui discute avec Lélu. Bogosse fait un clin d’?il à ce dernier, l’air complice, puis se tourne vers l’autre.

Bogosse : Un petit pastis, monsieur Mahomet ?

20 heures. Les services de sécurité ont eu beaucoup de mal à calmer Lélu qui a entrepris d’étrangler Bogosse et s’acharne maintenant à coups de pied sur la moto de ce dernier. Les responsables religieux après une nouvelle crise de fou rire se séparent contents de ce bon moment passé ensemble.

Propos recueillis par Sam Ravi avec l’aide du Saint Esprit, de Guillaume Hollard et d’Elsa Poutchkovsky

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