Tentation populiste pour la droite populaire

février 2006
Y-a-t-il encore un chiraquien dans l'avion ? Depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l'UMP, les élus de la région jurent qu'ils se sentent très à l'aise dans leurs baskets. Surtout la basket droite.

« Depuis l’investiture de Nicolas Sarkozy, on redevient un parti de proposition et de débat, sans obligation de suivre le gouvernement. » La formule est de Philippe Vitel, député du Var, particulièrement satisfait du nouveau président de l’UMP. Cette « liberté de penser » chère à Florent Pagny, nos élus de Paca en ont beaucoup fait usage lors des émeutes dans les banlieues et des débats à l’Assemblée sur la loi de février 2005 vantant les bienfaits de la colonisation. Un exemple. Alors que Dominique de Villepin tentait de calmer les passions en jugeant que ce n’était pas au parlement d’écrire l’histoire, Lionnel Luca, député des Alpes-Martimes, affirmait : « Sans la colonisation, ni Léon Bertrand ni Azouz Begag ne seraient ministres de la République française. » (1)

Si de tels propos ne sont pas nouveaux à droite, ils se multiplient depuis que Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, a appelé à la constitution d’une « droite décomplexée ». Un programme qui enchante Guy Tessier. Le député des Bouches-du-Rhône estime en effet qu’au fil des années le parti avait fini par perdre son identité. « La droite traditionnelle a eu tellement mauvaise conscience vis-à-vis de l’extrême droite, qu’elle avait abandonné ses thèmes de prédilection, comme l’immigration ou la sécurité. Aujourd’hui on se les réapproprient », explique-t-il.

Mais ce discours a une autre finalité, elle aussi officialisée par le ministre de l’Intérieur : séduire l’électorat Front national. En Paca, sans Jean-Marie Le Pen à sa tête, la formation xénophobe a frôlé les 23 % au premier tour des dernières régionales (2). A l’unisson de son président, Philippe Vitel estime donc « que personne ne doit être diabolisé », avant de tancer : « est-ce que le PS le fait avec la LCR ? ». De son côté, Guy Tessier, qui milita dans sa jeunesse au sein du groupuscule d’extrême droite Ordre nouveau, se veut plus pragmatique. « Il s’agit de reconquérir un électorat populaire qui appartenait au RPR », avance-t-il. Des analyses que Jean-Claude Guibal, député des Alpes-Maritimes, ne partage pas. « Sauf à la marge, les électeurs du Front national ne sont plus récupérables, son électorat s’est stabilisé », assure ce chiraquien, un des derniers Mohicans en quelque sorte (3). 09rv27yacine_ump.jpg

S’il dit vrai, l’UMP s’est de toute façon depuis longtemps réservée une alternative moins voyante : le recyclage d’anciens élus FN ou MNR (4). Une excellente façon aussi de contourner l’interdiction imposée par Jacques Chirac, au début des années 90, d’envisager des alliances avec l’extrême droite. Daniel Simonpieri, ex-FN passé mégrétiste puis divers droites, toujours maire de Marignane et conseiller général, en est l’illustration. Depuis le 1er avril 2004, il a rejoint le groupe UMP-UDF du Conseil général des Bouches-du-Rhône.

Peu loquaces sur le sujet, nos élus préfèrent largement disserter sur un phénomène incroyable : la multiplication de leurs militants. « Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP, le parti a « boosté » ses objectifs », s’enthousiasme Guy Tessier, qui ne cache pas son soutien au ministre de l’Intérieur. Et de poursuivre avec le même entrain : « Les adhésions ont été multipliées par deux (5) et, surtout, on a réussi à attirer des gens qui s’intéressaient peu à la politique : les actifs d’une quarantaine d’années. » La liberté de ton que celui-ci revendique vis-à-vis du gouvernement, son marketing efficace, voire agressif, mais aussi la promesse d’une plus grande participation des adhérents à la vie du mouvement qu’il préside font apparemment mouche. Son populisme également.

Réservé jusqu’à présent aux leaders nationalistes, le qualificatif ne rebute pas Philippe Vitel. Il le revendique même clairement. « Il n’y a pas de honte à expliquer clairement les choses ! Au moins, lui est compris des gens », gronde-t-il, agacé de la connotation péjorative attachée au terme. Mais, foi de militant, malgré son « engagement personnel » en faveur du ministre d’Etat et les succès et la popularité de ce dernier, pas question d’en faire déjà le candidat de l’UMP. « C’est un phénomène, reste à voir s’il est durable. A lui d’en apporter la preuve », explique le député du Var.

Le souvenir de l’échec du « phénomène » Balladur, en 1995, est en effet encore très présent dans les esprits des élus. Tous affirment donc que l’heure n’est ni au positionnement, ni au choix. Selon Philippe Vitel, d’autres concurrents sont d’ailleurs toujours en course. « Je pense que certains se posent encore la question du retour d’Alain Juppé et Michèle Alliot-Marie est très appréciée, surtout à Toulon », note-t-il. Pourtant, du propre aveu de Jean-Claude Guibal, les chiraquiens ont quasiment disparus du paysage régional. « Certains sont encore attachés à sa personne, mais d’une manière affectueuse, par amitié pour l’homme », analyse-t-il à regret.

S’agit-il pour Philippe Vitel de noyer le poisson ? Quelle que soit leur préférence, nos interlocuteurs reconnaissent en effet qu’en Paca l’UMP roule pour le ministre de l’Intérieur. « Beaucoup sont des amis de monsieur Sarkozy », indique ainsi le député du Var. Concrètement, trois catégories se distinguent : les proches du ministre de l’Intérieur, comme Christian Estrosi, ministre délégué à l’Aménagement du territoire et président de la fédération des Alpes-Maritimes, et Thierry Mariani, député du Vaucluse ; ceux qui affichent ouvertement leur préférence, à l’image de Guy Tessier et Philippe Vitel ; et les prudents, peu diserts sur le sujet mais les plus nombreux. Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille et Hubert Falco, sénateur-maire de Toulon, les représentent assez bien. Président délégué par intérim de l’UMP, Jean-Claude Gaudin dit assumer cette fonction « pour rendre service ». Se félicitant à la fois que Sarkozy lui ait demandé de conserver sa place après le départ d’Alain Juppé et que Chirac l’autorise à le faire.

Pourtant, une règle élémentaire de la politique pourrait cette fois encore mettre tout le monde d’accord. Et c’est Jean-Michel Murraciole, jeune président des Jeunes populaires des Bouches-du-Rhône, qui l’énonce. « Les élus adhèrent à celui qui peut les faire élire », rappelle-t-il. Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?

Jean-François Poupelin

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