The Ultimate Fight*

octobre 2006
Après la quasi disparition de la réparation navale, après la réforme des dockers de 1992, le Port autonome de Marseille vit en ce moment une nouvelle mutation en se désengageant de ses métiers traditionnels. Une stratégie contre laquelle même la CGT semble impuissante.

Guy Janin serait-il en train de réussir là où Eric Brassard, son bouillonnant prédécesseur, avait échoué ? Discrètement, après avoir fait signer six accords sociaux en juin (dont un qui mettait fin au conflit de l’automne 2005 et un autre qui réglait l’organisation du travail sur les terminaux de Fos-sur-Mer, sa source), le directeur du port autonome de Marseille (Pam) semble tout proche désormais de finaliser le projet Fos 2XL. Il paraît sur le point de faire accepter aux syndicats, dont la CGT, largement majoritaire, une entrée du privé dans l’exploitation de l’établissement portuaire.

Fos 2XL a été lancé il y a deux ans afin de donner à Marseille les atouts pour rivaliser avec Gênes et Barcelone, ses concurrents méditerranéens, en portant sa capacité d’accueil de 750 000 à 2 millions de conteneurs d’ici trois années. Le futur terminal a été imaginé, le désengagement de l’Etat aidant, en cofinancement avec deux armateurs, le Français CMA-CGM (3e mondial) et l’Italien SCM (2e mondial). Le Pam construisant les structures (bassins et quais), les deux entreprises privées, les infrastructures. En apportant la moitié de l’investissement (206 millions d’euros sur 400 millions), les deux opérateurs ont toutefois quelques exigences, et pas des moindres : disposer des quais et maîtriser leurs effectifs (1). Ce qui est loin d’indigner Jean-Pierre Billat. « Ca se passe comme ça avec le privé. Il investit, donc obtient la concession le temps de rentabiliser son investissement, en général 20 ou 30 ans. De plus, les terminaux gérés par le Pam le resteront », explique sereinement le directeur adjoint du Port autonome. 00rv34red_peche.jpg Une promesse à laquelle les principaux responsables syndicaux ont du mal à croire. « Nous ne sommes pas contre la réalisation de Fos 2XL, mais je ne vois pourquoi après avoir cédé 200 m à la CMA-CGM (2), la direction ne continuerait pas à lâcher ses quais », s’inquiète Claude Fiorillo, secrétaire général de la CFDT. « On ne se laissera pas pousser vers Marseille. On n’a pas fait 14 jours de grève l’année dernière pour se faire déposséder de notre outil de travail », tempête de son côté, Raymond Maldacena, secrétaire général de la CGT. Et de proposer une solution : « Nous avons fait des efforts concernant l’organisation du travail sur les terminaux de Fos pour répondre aux exigences des opérateurs, on peut très bien poursuivre sur cette voie ». Un appel du pied qui laisse de marbre Jean-Pierre Billat. « Je ne vois que des projets financés et des créations d’emplois de dockers, de grutiers… Pour moi, c’est plus important que de savoir qui du privé ou du public doit en profiter. Sans eux, Marseille redeviendra un port régional ». Pragmatique – il est directeur adjoint -, il préfère voir le bon côté de la chose : « On va se retrouver avec des loyers et des droits de ports, ce qui va nous permettre de payer nos emplois et notre budget ».

Cette vision très rentière de l’activité de l’établissement public est d’ailleurs déjà en place sur les quelques 11 000 hectares du Pam. Mais jusqu’à présent, elle ne touchait que des domaines extérieurs au Port autonome : industrie, logistique, transport, ainsi que, depuis toujours, la manutention et la réparation navale. En répondant positivement aux exigences des investisseurs pour pouvoir se développer, la direction de l’établissement portuaire semble donc vouloir impulser une nouvelle mutation en abandonnant, comme s’en inquiète le secrétaire général de la CFDT, « ses c?urs de métiers ». Un peu à l’image de ce que vient de connaître le port du Havre, qui a laissé la gestion des grues à une société privée pour réaliser son projet Port 2000. Des données que semble avoir intégrées Raymond Maldacena de la CGT. Ses menaces de grèves sont en effet aujourd’hui moins tranchantes. Plus fort encore : son syndicat paraît même vouloir jouer l’apaisement. Le 29 septembre, lors du dernier débrayage (seulement 4h), les grévistes ont autorisé certains d’entre eux à suspendre leur arrêt de travail pour échouer un navire qui rejoignait sa cale de réparation afin de résoudre un problème électrique. Une bonne volonté inhabituelle de la part de la CGT, très portée sur les blocages sauvages. Le syndicat pense peut-être déjà à préserver l’avenir de ses adhérents ?

J-F. P.

Imprimer