Plaisance : La guerre de l’anneau

octobre 2006
Toujours à la recherche de la bonne idée pour faire rentrer des sous dans ses caisses, Marseille a décidé de surfer sur le boum de la plaisance. Et une fois de plus n'envisage que la démesure.

« Oh mon bateau ! Tu es le plus beau des bateaux ! » Comme Dario Moreno en son temps, ils sont de plus en plus nombreux à aimer chantonner cet hymne au cabotage. Malheureusement pour eux, il n’y a plus assez de places pour tout le monde dans les ports provençaux et azuréens. 00rv34red_anneaux.jpg Les ports français n’ont pas suivi l’engouement des dernières années pour la plaisance. Résultat, selon une enquête menée par ODIT-France (Observation développement et ingénierie touristiques) : 90% des ports sont saturés. Rien qu’en Paca, 18 000 places supplémentaires seraient nécessaires pour satisfaire à la demande des plaisanciers. « Il y a une pénurie généralisée qui concerne autant les places pour plaisanciers de luxe que celles pour un public plus populaire, explique René Gaudino de L’Union des ports de plaisance Paca (UPACA). Mais la plaisance de luxe souffre moins car ils peuvent aller vers d’autres rivages méditerranéens, en Italie, Espagne ou Tunisie. » Devant cette pénurie d’anneaux, de nombreuses municipalités rêvent aux retombées économiques qu’engendrerait un afflux de navigateurs consommateurs, et se voient bien jouer le jeu de la plaisance, et pourquoi pas de luxe. Et la première d’entre elles voit gros. Marseille et sa communauté urbaine (Marseille Provence Métropole), qui compte 24 ports, entend bien rafler le jackpot de la plaisance pour affirmer sa nouvelle dimension touristique.

« MPM a vocation à devenir le premier port de plaisance d’Europe avec à terme une capacité de 8 500 anneaux, affirme ainsi Pierre Piccirillo, maire de Saint-Victoret et président de la Commission des ports et aéroports de la communauté urbaine marseillaise. Nous prévoyons la création d’un port à sec dans la zone de l’Etang de Berre, le doublement du port du Frioul, un aménagement au bout du Vieux Port et enfin celui du bassin du Berroir à La Ciotat. Au total, 5 000 anneaux supplémentaires. » Rien que ça ! Et ce n’est pas tout. « Si on compte les ports de notre secteur gérés par la Région, c’est-à-dire Cassis et une partie de La Ciotat, on chiffre à 12 500 le contingent possible. En moyenne, un anneau de l’agglomération coûte trois fois moins cher qu’un anneau de la Côte d’Azur », poursuit l’élu. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le maire de Saint-Victoret en est persuadé. Il a fait un calcul simple : « La demande insatisfaite sur MPM est estimée à hauteur de 3000 à 5000 anneaux, c’est dire si le secteur est porteur. La satisfaire aurait des retombées pour l’emploi dans le secteur des métiers de la mer comme l’accastillage et la réparation navale, mais aussi de grosses retombées indirectes dans le secteur de l’hôtellerie restauration et du commerce. »

Pour autant, MPM ne joue tout de même pas dans la même catégorie que Saint-Tropez et Antibes. « 95 % des anneaux de la communauté urbaine servent à la plaisance populaire et de proximité », souligne Pierre Piccirello. Ce qui, à terme, ne peut être viable. D’où l’idée, récurrente à Marseille, de se tourner vers le luxe. « Pour pouvoir financer la construction d’autres anneaux, il nous faut aussi attirer les gros bateaux, qui payent une redevance annuelle beaucoup plus élevée », insiste le président de la Commission des ports de MPM. Ainsi, le yachting, en raison de son poids financier et aussi pour des questions de prestige, s’impose comme une figure incontournable dans le développement du tourisme maritime. Or, Marseille ne peut accueillir de yachts à proximité de son centre ville. Ses seuls ports en eaux profondes étant La Ciotat et Le Frioul. Et il n’est pas question de lorgner sur les larges bassins du Port Autonome, où le service de presse assure qu’il garde « une vocation purement commerciale, et l’accueil de bateaux de plaisance n’est pas dans ses prérogatives ». Les projets développés au moment de la candidature de la cité phocéenne à l’accueil de la Coupe de l’America prouvent cependant que le Pam peut toujours s’adapter.

Dans l’attente d’une nouvelle opportunité, reste à savoir si les propriétaires de yachts de luxe seront séduits par la pureté minérale et la sérénité de l’archipel du Frioul ou par les charmes du site de La Ciotat, distante de la métropole provençale d’une bonne trentaine de kilomètres… La plaisance, notamment de luxe, peut-elle vraiment être le nouvel eldorado de la région ? Au risque de casser l’ambiance, le Comité régional du tourisme affiche un net scepticisme sur la nécessité d’accueillir à tout prix les navigateurs à la coque dorée. « Ca ne rapporte pas grand-chose, car les propriétaires d’embarcations importantes ne dépensent quasiment rien à terre, ils sont parfaitement autonomes. Donc il n’y a quasiment aucune retombée économique indirecte, soutient Jean-Marc Coppola, élu communiste au Conseil régional et président de l’institution. Il faudrait développer en priorité les liens entre les bateaux qui arrivent et les villes. » Se mettre à l’heure de la plaisance de luxe pour avoir des navettes plus accessibles pour aller au Frioul et une meilleure desserte en transports en commun entre Marseille et La Ciotat ? Hissons les voiles !

Florent Léonard

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