« La société est malade du travail »

septembre 2007
Le travail, Edouard Orban en connaît un rayon. Postier, syndicaliste à Sud-PTT, il est aussi maître de conférence associé au département d'ergologie à l'Université de Provence. Où il étudie les situations au... travail.

Nicolas Sarkozy a fait avec succès de la « valeur travail » un thème essentiel de son programme. Pourquoi dénoncez-vous une mystification ?

« Sarkozy récupère l’intérêt que les gens ont pour leur travail afin d’affirmer « travailler plus pour gagner plus ». Dans le même registre, Yvon Gattaz, président d’honneur du Medef, affirmait « tout salaire mérite travail » en retournant habilement le slogan « tout travail mérite salaire ». En fait, ils ne parlent que de la valeur monétaire, financière, du travail. Faire croire que le niveau de rémunération est seulement lié à la quantité ou à la qualité de travail produite est faux. Depuis 1980, la part du salaire dans le PIB est passée de 70 % à 60 % au profit du capital. Le vrai problème, que l’approche de Sarkozy permet de ne pas poser, c’est celui de la répartition des richesses. Autre souci de sa représentation idéologique du travail : l’individualisation. Ce ne sont pas les salariés qui décident de leurs heures supplémentaires mais leur patron. Nicolas Sarkozy les culpabilise en leur disant : si vous ne gagnez pas assez, c’est que vous ne bossez pas assez. »

En quoi, selon vous, la société est-elle malade du travail ?

« Les considérations gestionnaires dominent toutes les préoccupations des économistes, des politiques et des entrepreneurs. Avant, un patron connaissait ses salariés. Aujourd’hui, les actionnaires, qui réclament d’importants taux de rentabilité, exigent des entreprises une politique conforme à cet unique objectif en ignorant tout des réalités concrètes. Prenons deux exemples. Désormais dans l’industrie, il est souvent inutile de s’appliquer à usiner une pièce qui tienne durant dix ans, puisque l’objet réalisé doit être jeté et remplacé dans les cinq années qui suivent sa fabrication. C’est une disqualification de la qualité du travail. A la Poste, les salariés sont maintenant incités à respecter des « indicateurs de placement », c’est-à-dire concrètement à vendre des produits financiers à des gens qui n’en ont pas besoin. On leur demande donc de renoncer à être au service du public, au sens même de leur travail. La société est malade du travail parce que sa dimension « activité concrète », créatrice, collective, est complètement ignorée… »

Pour vous, « le travail n’a pas de valeur mais est porteur de valeurs ». Il ne s’agit donc pas de le remettre en cause ?

« Le chantage au chômage, la précarité, les rigidités hiérarchiques et de procédures, l’intensification, créent de la souffrance au travail et le dévalorisent. Mais, en dépit de la relation de subordination qu’implique le salariat, les gens donnent du sens à ce qu’ils font. Ils s’y inscrivent dans un collectif, y défendent les valeurs du faire, du faire ensemble. Ils participent à l’élaboration d’un patrimoine commun. C’est ce qui explique, entre autre, la conscience professionnelle. J’ai été militant à Agir ensemble contre le chômage (AC !). Certains y affirmaient refuser toute forme de travail. En fait, en s’investissant dans l’animation de l’association, ils travaillaient à leur façon, parfois même beaucoup. Reste, au-delà de ce débat, une certitude : une étude a montré qu’en France, pour offrir un emploi à tout le monde, sans laisser des gens au chômage, il suffirait de travailler en moyenne 28 heures par semaine. Aujourd’hui, il n’y a vraiment pas besoin de travailler plus. Sauf à promouvoir un mode de développement productiviste dont les conséquences pour l’équilibre écologique, pour ne citer que ce problème, sont catastrophiques. »

Propos recueillis par M.G.

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