Un passé qui passe mal

mars 2008
Nicolas Sarkozy veut « liquider » 68. A l'image d'un Jean-Claude Gaudin se gaussant des cheveux longs des journalistes de Libération, les partisans de l'omni-président sont majoritairement pour un retour aux coupes strictes. Et aux valeurs assorties.

Le 30 mai 68, Paca a été à l’image de Paris : gaulliste. Marseille et Toulon ont ainsi été le théâtre d’un déploiement de forces des partisans du président libérateur. En additionnant les sympathiques militants du mouvement d’extrême-droite Occident de la fac de droit d’Aix, qui ont fait le coup de poing avec les gauchistes en grèves, et les étudiants pro « mon général », la région avait donc ses anti-68 pendant « le joli mois de mai. » 11rv50elce_passe.jpg Difficile cependant d’en rencontrer aujourd’hui. Mai 68 ne semble en effet pas faire partie de la mémoire collective de la droite locale. Un des leader des étudiants gaullistes, le très sarkozyste Roger Karoutchi, est désormais très loin de Paca. Contacté, Guy Tessier, député-maire UMP du 9e secteur de Marseille, 23 ans à l’époque, n’a pas donné suite aux sollicitations du Ravi. « C’est peut-être parce que je suis jeune, mais nos dirigeants n’en parlent jamais », résume Jean-Michel Muracciole, responsable des « Jeunes pop » des Bouches-du-Rhône et candidat pour la première fois à une élection (1er canton de Marseille, sur les listes de Jean-Claude Gaudin aux municipales).

Le 28 février, la même réserve prévaut à l’entrée du meeting de Jean-Claude Gaudin organisé au Florida Palace (10ème arr.). Jean, un prénom que s’est choisi pour l’occasion un retraité baraqué comme un docker, évoque ses souvenirs au compte-gouttes : « J’étais pas contre le mouvement, mais je n’ai pas manifesté. J’avais 26 ans, j’étais dans l’administration et j’étais bien. » Et de conclure, tout sourire : « Je pensais plus aux gonzesses. » D’autres n’étaient pas dans la région, ou à l’étranger, ou ne veulent pas parler ou se contentent simplement de rappeler « les pénuries ». Tout en reconnaissant la légitimité des revendications syndicales (salaires, conditions de travail…). Uniquement.

A l’image du colonel Georges Lasserre. Volubile, le militaire, de faction à l’entrée de la salle, commandait à l’époque deux compagnies de parachutistes à Paris. Ses souvenirs l’entraînent rapidement vers le catastrophisme. « Nous ne sommes jamais intervenus, mais les gens avaient peur. Ça pouvait mal tourner. J’avais assisté à des événements plus graves [la guerre d’Algérie, Ndlr] et je savais où ça pouvait mener », assure l’ancien aide de camp de Georges Pompidou, période président. Avant de plaisanter : « Mais je comprenais les demandes des manifestants. J’en ai moi-même profité, ma solde a été augmentée ! »

Cette vision sombre et singulière de mai 68 n’est cependant pas l’apanage des non-manifestants de l’époque. Et des soutiens de Nicolas Sarkozy en particulier. Née en février 1968, secrétaire de direction, mariée et mère de deux filles, Yannick revendique la posture présidentielle… tout en avouant un « culte à Giscard ! » « La femme est faite pour élever ses enfants et s’occuper de sa famille », affirme haut et fort cette jolie brune, souriante et très 16ème arrondissement… parisien (!), qui raconte que la plupart des camions de l’entreprise de transport de son père ont été incendiés par les manifestants. « Le problème est la liberté sexuelle de la femme ! », martèle-t-elle. Sans être aussi réac, Jean-Michel Muracciole, 24 ans, colle également à la doxa sarkozyste. Si le responsable des « Jeunes pop » des Bouches-du-Rhône reconnaît mai 68 comme « cause noble et période importante de l’histoire » et plaide, notamment, pour « la centralité des valeurs humaines face à la mondialisation », il fustige ceux qui ont « voulu renverser le système et les valeurs qui soudent », ainsi que leurs héritiers qui « veulent encore soulever et renverser une société qui n’a plus rien à voir avec celle de 68. »

Mathias Pétricoul doit parfois se sentir un peu seul… En dangereux gauchiste, le candidat UMP à Martigues conteste ouvertement les propos de l’omni-président. « Je n’ai pas envie de revenir en arrière », tranche ce trentenaire, avant d’assurer : « Ma génération n’est pas aussi conservatrice que l’électorat auquel s’adressait Nicolas Sarkozy lorsqu’il a lancé cette formule que je n’aurais moi-même jamais utilisée. D’autant que pour nous, mai 68 fait aujourd’hui simplement partie de l’histoire. » Une histoire qui visiblement passe encore mal à droite.

Jean-François Poupelin

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