Radicalement gentil

mai 2009
Vingt cadres d'Ascometal « séquestrés » à Fos-sur-Mer le 15 avril. Gilbert Khoupiguian était de la fête. Mais pour lui la radicalisation des mouvements sociaux dans son entreprise, c'est plutôt « gentil ».

« Gigi », c’est « un vieux de la vieille » explique Marie-Christine, sa femme. Depuis son adolescence soixante-huitarde, Gilbert Khoupiguian a toujours été engagé. Aujourd’hui quinquagénaire, délégué syndical, il est respecté dans l’entreprise. « Il en connaît un rayon et il est pas con », lance Gérard au poste de garde. Dès son entrée comme ouvrier à Ascometal, le groupe métallurgique, il adhère à la CGT. Depuis 1973, il a occupé et bloqué son entreprise de Fos-sur-Mer (13) à plusieurs reprises. Le 15 avril dernier, il fait naturellement partie de ceux qui retiennent vingt cadres, jusqu’à une heure du matin, pour exiger une meilleure rémunération du chômage partiel. Une simple « retenue gentille » selon lui. Les éphémères séquestrés ont même pu jouer aux boules…

Au Tribunal de grande instance (TGI) d’Aix-en-Provence, le 20 avril, cette action a été qualifiée « d’entrave à la bonne circulation des personnes et des véhicules ». Mais à la sortie de l’audience, « Gigi », bon vivant, ne se laisse pas abattre : « On va boire un coup ? ». « Dans les années 70, les séquestrations c’était un style d’intervention régulièrement employé, explique-t-il. On sort de l’apathie des années 80 durant lesquelles les mouvements étaient consensuels. Aujourd’hui, tout le monde est surpris parce qu’on avait perdu l’habitude de voir ça. » Explication de ce soudain durcissement ? « Au bout d’un moment, les gens, ils l’ont à la gorge ! ». Avec le chômage partiel – « un jour tu travailles, un jour tu travailles pas » – les ouvriers vivent sous pression constamment. Alors, forcément, les réactions sont plus radicales.

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« Les mecs, ils en ont marre, ils explosent. Si on met le couvercle, ils le font sauter ! » En tant que délégué syndical CGT, Gilbert Khoupiguian n’est « ni pour ni contre » un blocage. Le 15 avril, il a suivi l’initiative des plus virulents tout en pensant qu’une autre action aurait été plus efficace. Les syndicats se sont fait « déborder » sans trop le regretter… « Les mecs, ils en ont marre, ils explosent. Et tant mieux qu’ils explosent ! On va pas les retenir ! On peut pas empêcher l’explosion ! Si on met le couvercle, ils le font sauter ! » D’autant que les plus énervés pensent que les organisations syndicales freinent parfois. « Sans mouvement, il n’y a rien ! », botte en touche Gilbert Khoupiguian, flegmatique. Sans médias, pas de mouvement non plus. C’est le délégué syndical qui a suggéré à sa direction de faire venir les Compagnies républicaines de sécurité le 15 avril. « Se faire dégager par des CRS, ça a plus de classe et ça fait venir les journalistes ». L’ambiance est restée bon enfant : « on a bien rigolé ». Quand « Gigi » reparle de la nuit avec ses collègues, c’est avec les yeux pétillants des enfants qui reviennent de colonie de vacances. Tous regrettent toutefois les commentaires des médias sur les séquestrations victimisant les patrons et transformant les ouvriers en terroristes. In fine, le TGI d’Aix-en-Provence a déclaré « illicite » l’action des salariés d’Ascometal mais les peines financières ont été retirées. Malgré cet avertissement, pas de résignation même si Gilbert Khoupiguian n’est pas dupe : attention à toute récidive, y compris si elle se déroule à nouveau dans la bonne humeur. « Le mouvement va continuer. Forcément. Mais sous quelle forme ? ».

Eric Besatti

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