Tribune : Les universités apaisées par la force ?

octobre 2009
Contrairement à ce que dit Valérie Pécresse, le monde universitaire reste très largement opposé aux réformes imposées en 2009. Et, si les sentiments de fatigue et d'impuissance sont dominants, la ministre a fait passer aux forceps des mesures qui n'ont convaincu personne. Point de vue de Julie Patris, astro-physicienne, enseignante à l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille, syndiquée à Sud-Education.

Petit rappel des événements d’un printemps chaud à la fac. En janvier 2009, trois dossiers ont du mal à passer chez les universitaires : – la « masterisation », modification des concours de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire (appauvrissement disciplinaire du concours en contradiction avec l’allongement des études, suppression de l’année de stage en situation, précarisation de la fonction publique d’éducation…). – la modification du statut d’enseignant-chercheur, qui fait la part belle aux arbitraires locaux et institue « l’enseignement-punition » pour les « mauvais chercheurs ». – la destruction programmée du CNRS, remplacé par des instituts morcelés, financés sur projets, contrôlés directement par l’Etat.

Le monde des chercheurs et des profs de fac se mobilise alors comme il ne l’a jamais fait. Il est rejoint dans certaines facs par les étudiants et les personnels administratifs, techniques et de bibliothèque, cibles de longue date des attaques du gouvernement. Sous le terme général de « grève active », la mobilisation diversifie ses formes : grève totale, manifestations massives et régulières, cours en extérieurs, expressions artistiques, médiatiques, basées sur l’humour et le happening.

« Volonté idéologique d’instituer des présidents-roi »

Malgré la vigueur du mouvement de protestation, le gouvernement ne modifie pas ses textes et refuse toute concertation. Les universitaires, se comptant, se découvrent trop peu nombreux afin de constituer une menace sérieuse pour un pouvoir agressif. Les étudiants sont pris au piège par un pouvoir qui ne s’intéresse pas à leur devenir et ne songe qu’à imposer, par la force, un semblant de normalité uniquement représenté par la tenue d’examens plus ou moins fantoches. L’Université est ouvertement considérée comme une machine à délivrer des diplômes, vides de sens et de contenu. L’été arrive. Le gouvernement bâcle une concertation de théâtre, publiant les textes avant la tenue de la première réunion de la commission chargée de les étudier.

Quelques bribes ont été concédées : le gel des suppressions de postes d’enseignants-chercheurs et de chercheurs pour 2009, le nombre d’heures d’enseignement à la fac ne peut théoriquement être modifié sans l’accord de l’intéressé. Mais l’esprit qui a présidé aux réformes est mis en pratique : volonté idéologique de transformer l’éducation nationale en un corps malléable de précaires, d’affaiblir la collégialité des universitaires pour instituer des présidents-roi dans chaque université, ayant tout pouvoir. Cette rentrée scolaire est un exemple de l’application de ces réformes, marquée, notamment à Marseille, par les non remplacements d’enseignants du primaire et du secondaire, par les élèves en attente d’inscription, par les sanctions administratives contre les instits désobéisseurs, par « l’autonomie » des facs (pour 30 moniteurs recrutés normalement chaque année à l’université Paul Cézanne, nous n’en avons que 8 cette année) …

Alors, quel bilan pour cette lutte novatrice ?

Les universitaires ont mesuré leur faiblesse face à la puissance du gouvernement qui rompt le pacte social, refusant de consulter avant de modifier les cadres de la société. Mais ils ont aussi mesuré leur conviction partagée, une idée de l’Université fondée sur l’universalisme, la gratuité, la gestion collégiale, le partage du savoir, la liberté de recherche et pédagogique. Et, si le gouvernement a démontré qu’il a les moyens d’imposer par la force son idéologie, il a aussi montré son impuissance à convaincre, à dialoguer.

Quelles pistes explorer désormais ?

Le monde universitaire doit rester uni et ferme sur ses convictions pour espérer, à long terme, renverser le rapport de force et reprendre le contrôle de son devenir. Et un travail de fond s’amorce en direction de notre prochain interlocuteur, le « grand public », pour réfléchir ensemble et montrer de quoi le gouvernement actuel est en train de nous priver. Au côté d’autres secteurs en lutte, nous continuerons à analyser, publier, faire savoir notre désaccord. En espérant que les valeurs de concertation, de construction commune et de discussion reviennent sous peu au goût du jour.

Julie Patris

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