L’Edito

novembre 2004

Peut-on rire de tout ? Une association a invité l’équipe du Ravi à Vitrolles – ville où, c’est bien connu, on ne perd jamais une occasion de s’amuser entre bons amis – pour débattre de cette grave question. Heureusement, la soirée fut agrémentée d’une dégustation de vins de Provence. Donc fructueuse. Un habile orateur, secondé d’un fidèle compagnon à quatre pattes beau comme un Knacki, a eu la bonne idée d’inverser la question : de quoi, ou de qui, n’aurait-on pas le droit de rire ? De la Shoah ? Faut-il alors interdire l’humour juif ? De la maladie, de la mort ? Au risque, pour le coup, de transformer la vie en une longue veillée funèbre. Des minorités, des religions ? La liste pourrait être bien longue… Pierre Desproges a eu cette formule devenue célèbre : « on peut rire de tout, oui, mais pas avec n’importe qui ». Les jeux de mots d’un Le Pen, bons ou mauvais, sont avant tout intolérables en raison de l’idéologie de celui qui les professe et de ceux qui l’applaudissent. Et en raison de la société d’ordre et d’exclusion dont ils rêvent. Où l’humour ne serait pas à la fête…

Lorsque la presse est apparue en France, au 18ème siècle, le dessin satirique était roi. Parce que la photographie n’existait pas bien sûr. Mais aussi parce que le journalisme et la démocratie, le droit d’informer et celui de se moquer, ont toujours été étroitement liés. Trois siècles plus tard, faites un petit test. Feuilletez nos grands quotidiens régionaux à la recherche d’un dessin de presse. La pêche sera nulle ou bien maigre. Quand l’humour n’a plus de place, quand prime la peur de choquer, de déplaire, de ne pas « fédérer » les lecteurs-clients, c’est que la liberté d’expression, théoriquement garantie par notre Constitution, n’est plus tout à fait au rendez-vous. Ne nous y trompons pas. Le rire peut aussi servir d’alibi. Formaté, il perd son pouvoir subversif. Et toute sa saveur. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer les nombreux comiques autorisés officiant à la télévision. Même le rire institutionnalisé, aussi nécessaire et subtil que celui pratiqué par notre confrère Le Canard Enchaîné, a ses limites. Trop systématisée, la satire peut conduire au cynisme voire au nihilisme. C’est pourquoi au Ravi, on a choisi de rire de tout. Mais pas tout le temps.

Le Ravi

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