Le carnaval des faux-culs

juin 2004
Le Niçois est d'esprit ouvert. Pourtant, les hommes politiques de droite qui veulent compter à Nice croient toujours devoir en faire des tonnes pour prouver qu'ils défendent l'identité niçoise. « M'en bati, sieu de gauche » disent les autres.

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La défense de l’identité niçoise date de la plus haute antiquité. Les historiens sérieux la font remonter à la création de l’Académia Nissarda, en 1904. D’autres vont encore plus loin et avancent la date de 1881, quand fut éditée la première grammaire niçoise. Avant elle, les Niçois faisaient des fautes. Si l’on croit alors utile de défendre l’identité niçoise, c’est qu’on la pense menacée, non pas tant par le rattachement à la France (1860) que par les hordes de touristes qui débarquent chaque hiver, le tourisme estival n’existant pas encore (1). Cette posture défensive contre une invasion, d’où qu’elle vienne, devient dès lors la figure imposée pour qui entend s’ériger en défenseur du peuple niçois. Jacques Médecin notamment en fera un usage immodéré, au point qu’il personnifie encore la défense de l’identité niçoise. Il n’a pourtant pas fait grand-chose pour elle, et souhaitait au contraire transformer Nice en Las Vegas de la Méditerranée. Aquí si juega au black jack… L’époque il est vrai était tout entière dévouée au culte de la modernité.

En faisant profiter en priorité les Niçois des mannes touristiques, Jacques Médecin défendait plus leurs intérêts que leur culture. Pour la galerie, on dira qu’il affirmait le particularisme niçois contre l’hégémonie de Paris ou de Marseille, alors qu’il serait plus juste d’affirmer, avec Pierre Tafani, qu’il a construit un vaste système clientéliste dont le but était de « faire payer un ticket d’entrée aux nouveaux arrivants en faveur des anciens » (2).

De l’inconvénient d’être né à Belfort

L’arrivée au pouvoir de Jacques Peyrat, en 1995, constitue donc un événement. Car Jacques Peyrat n’est pas Niçois, ce qu’il déplore sans pouvoir y faire grand-chose. Sa bonne volonté pourtant est immense, à l’aune de son désir de se faire aimer des Niçois. Il prend sur sa liste la fille Médecin et quelques anciens médecinistes égarés, en rallie d’autres en cours de mandat, comme André Barthes (lire page 20). Dédé Truqui, inamovible adjoint au maire préposé aux traditions, tente même de lui enseigner quelques rudiments de niçois, mais ceux qui l’ont entendu s’y essayer avec l’accent de Belfort en rient encore. L’époque étant, depuis le début des années 90, à la quête d’authenticité, il crée un festival de polyphonie occitane, Voucalia, et les Assises de l’identité niçoise que les hôtesses d’accueil de la mairie confondent, c’est un signe, avec les journées du patrimoine. Mais rien n’y fait, et Jacques Peyrat continue à flotter dans le costume trop large de son prédécesseur, dont il n’aura jamais la faconde. Mais plus encore que sa froideur, les Niçois lui reprochent de s’être réconcilié avec l’Etat central, réconciliation symbolisée par son intégration, rapide, au RPR, et par l’embauche à la mairie de cadres « estrangers », dont le plus célèbre est sans nul doute Michel Vialatte, ancien secrétaire général de la mairie, actuellement en procès (lire page ). « La différence entre Médecin et Peyrat, résume finalement Louis Pastorelli, chanteur du groupe Nux Vomica, c’est juste que ce ne sont plus les mêmes qui se partagent le gâteau : avant, c’était des Niçois, maintenant, ce sont des Parisiens ». En 2001, Peyrat est repassé de justesse, face à un candidat pourtant bien peu niçois et sans grande envergure. Depuis, le fossé s’est encore élargi, et son trône est menacé.

Les Niçois d’abord

Du coup, les héritiers auto-proclamés du médecinisme croient leur heure venue. Les plus acharnés à revendiquer l’héritage sont Alain Roullier et Gérard Bérardi. Le premier a obtenu 1,64% aux municipales de 2001 et préside la Ligue pour la restauration des libertés niçoises. Le second, président de la Liga Nissarda, recueillit 3,02% lors des dernières cantonales, mais tient à nous préciser que « ce n’est pas le score qui nous est dû ». Gérard Bérardi n’est pas très clair sur son programme. Il entend promouvoir « la logique niçoise » et revendique une plus grande proximité des élus. Pour résumer, « la Liga Nissarda est contre les suça bicou (sic) et les lobbies de pression (re-sic) qui font élire des ânes avec des étiquettes ». Mais Bérardi n’est pas indépendantiste, à la différence d’Alain Roullier qui revisite l’histoire pour affirmer que Nice n’a pas été rattachée à la France, mais annexée. La Ligue, écrit-il sur le site des Nouvelles niçoises (3) « s’est fixé pour but de chasser les partis français de Nice pour y installer un pouvoir niçois, qui seul pourra mettre en ?uvre les conditions nécessaires à une autonomie dans le cadre de l’Europe ».

Tous les deux se reconnaissent dans l’action de Jacques Médecin, Bérardi affirmant qu’« en tant que niçois, tout ce qu’il faisait allait dans le sens niçois ». Quant à Roullier, qui pourtant a longtemps ferraillé contre lui (4), il est persuadé que si « Jacquou » revenait d’entre les morts, « il serait réélu maire de Nice ». À défaut, il veut bien s’y coller. Séparément, on leur a demandé si un maire de Nice devait forcément être Niçois. « Ce n’est pas nécessaire, mais c’est mieux » ont-ils répondu.

MM. Bérardi et Roullier chassent sur les mêmes terres, ce qui les oppose forcément. « Roullier a un programme niçois, et avec un programme niçois, je ne pense pas qu’on puisse avancer », nous confie Bérardi, ce qui nous permet de rectifier in extremis l’idée que l’on se faisait de son programme à lui. Pour Roullier, Bérardi présente le défaut de n’avoir pas de légitimité, au contraire de lui, « car il coule dans mes veines, par ma mère, six cent ans de sang niçois ». Effectivement…

« Les vieux Niçois ne sont pas une clientèle obligatoire pour conquérir la mairie, conclut Paul Cuturello, plutôt un symbole obligé ». Mais si l’élection municipale de 2007 ne se jouera probablement pas sur la défense de l’identité niçoise, il sera de bon ton d’en faire mention. De là à construire tout un programme autour de cette question, c’est peut-être un peu abuser. C’est surtout courir le risque de se couper de la majorité des électeurs qui ne sont pas nés à Nice et qui ne se soucient guère d’identité niçoise. L’invasion est finie et la bataille perdue, il faut se faire une raison. Face aux fanatiques de la nissarditude, Rudy Salles et Jean-Auguste Icart pourront se contenter de rappeler qu’ils sont nés à Nice, au contraire du Belfortain. Ça devrait suffire.

Et la gauche ? La défense d’une identité locale se concilie mal avec une pensée issue de l’Internationale, quel que soit son numéro. La référence à l’identité niçoise était absente du programme de « Nice plurielle » en 2001, reconnaît Cuturello. Pourtant, nombre de médecinistes ont préféré voter pour la gauche, plutôt que pour Peyrat. Où mène la haine…

Gilles Mortreux

(1) Christian Rinaudo et Paul Cuturello, « Mise en image et mise en critique de la « Côte d’Azur », recherche effectuée pour le compte du ministère de la recherche, Université de Nice. (2) Pierre Tafani, « Les clientèles politiques en France », Editions du Rocher, 2003 (3) www.lesnouvellesnicoises.com (4) Alain Roullier a publié, avec sa maison d’édition, un livre d’entretien avec Mme Renée Leroux, ancienne propriétaire du Palais de la Méditerranée, dans lequel il décrit les liens qui unissaient Jacques Médecin à Dominique Fratoni, personnage trouble lié à la mafia italienne.

Le maire et le gobi

Une anecdote illustre les rapports que le maire de Nice Jacques Peyrat entretient avec la culture niçoise. En 1998, à la demande d’un ami instituteur, Louis Pastorelli, chanteur du groupe Nux Vomica, écrit une chanson pour les écoliers qui font l’ouverture du carnaval, sur la place Masséna. « Lo gobi », c’est le nom de la chanson, décrit l’état de déliquescence de la culture niçoise (« Il n’a même plus de langue/…/ il ne sait plus qui il est, il ne fait que copier ») et brocarde ouvertement le carnaval officiel (« Dans ce cirque, le dindon fait glouglou/ Avec tous les pingouins qui le regardent à genoux ») tout en faisant la promotion du carnaval indépendant de St Roch. Mais pour le maire, ce n’est que du folklore, puisque c’est en niçois. Personne ne prend la peine de traduire les paroles et le projet suit son cours, les enfants des écoles apprennent la chanson et un disque est enregistré. Ce n’est qu’à une semaine de l’ouverture du carnaval que quelqu’un en mairie se décide à traduire les paroles, et prend peur. M. Peyrat est dérangé en pleine séance de l’Assemblée nationale, mais il est trop tard pour reculer. Il paraît que quelques intermédiaires en ont pris pour leur grade à la mairie…

GM

Source : Christian Rinaudo et Paul Cuturello, « Mise en image et mise en critique de la « Côte d’Azur », op. cit.

Nice fête les langues

Ça devient un rendez-vous incontournable : le dimanche 6 juin se tiendra, place du palais de justice à Nice, la 4éme édition de la Festa dei lengas, organisées par les CLAJ Paca et St Roch Producion. L’idée est originale : il ne s’agit ni de s’arc-bouter sur la défense de l’identité niçoise, ni de créer un front aigri des langues minoritaires, mais au contraire de présenter les langues et les cultures – il n’est jamais question d’identité – comme « différentes et égales entre elles ». Renseignements : www.festa-dei-lengas.fr.st

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