PACA, terre d’extrême droite

avril 2004
Même si la progression de l'extrême droite semble, cette fois, marquer le pas en PACA, c'est bien dans notre région que le Front national, avec 21 %, se maintient à son niveau le plus haut. Nous n'en avons pas encore fini avec Le Pen.

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Le pire, très opportunément annoncé, n’a pas eu lieu. Le Pen n’a pas gagné la région. Le FN régresse, par rapport à 1998, et arrive en troisième position avec 21 % derrière la droite républicaine. La tentation est grande de vouloir tourner rapidement la page, de considérer que, comme c’est finalement le cas depuis vingt ans, un FN au-dessus de 20 % à chaque rendez-vous électoral n’a rien d’extraordinaire. Ni de préoccupant. A contrario, si l’on refuse la banalisation d’un phénomène qui menace en profondeur notre démocratie, nos valeurs, notre avenir, mieux vaut sans doute rester vigilant. Première étape avant toute chose : comprendre. Pourquoi l’extrême droite prospère-t-elle ici ? Deux récents ouvrages nous donnent quelques éléments de réponses.

« Localisme de clocher »

Le premier, « Main basse sur la Provence et la côte d’Azur » (éditions de l’Aube), est un court essai co-écrit par deux politologues, Daniel Van Eeuwen (prof à l’Iep d’Aix-en-Provence) et Jean Viard (directeur de recherche au CNRS, au Centre d’étude de la vie politique française). Il y a bien sûr, pour expliquer la puissance du FN, des éléments macro-politiques : « remontée du chômage, multiplication des plans sociaux, crainte de perte de pouvoir d’achat et moral des ménages bas, fracture urbaine ou rurbaine et même malaise rural ». La région PACA selon les deux chercheurs, a tous les « atouts » pour être solidement FN : « très urbaine, à forte population peu diplômée traditionnelle, majoritairement peuplée d’arrivants récents, très déchristianisée depuis longtemps, région frontière… ». Avec une précision d’importance : contrairement aux apparences, le vote FN « peut-être plus corrélé au taux communal ou régional des non-natifs qu’à celui de l’immigration transfrontalière ». En clair, dans une région où la majorité des électeurs ne sont pas nés, « il arrive que le rejet de l’immigré bronzé ne soit que l’explicite du rejet de l’arrivant tout court, en particulier Français du Nord plus diplômé et plus aisé » (1 million de nouveau nordistes en 40 ans !). Autre facteur essentiel mis en avant par les deux chercheurs : la modernisation manquée des élites politiques régionales, en particulier dans les Bouches-du-Rhône, le Var et le Vaucluse, bastion traditionnel de la gauche provençale. Au rang des accusés : le « localisme de clocher, la politique des réseaux, survivance du passé, et la croyance que le clientélisme dispense d’une action politique de terrain » des dirigeants politiques de tous bords.

« Liaisons dangereuses »

Dans un registre moins analytique, Frédéric-Joël Guilledoux, journaliste à « Marseille l’Hebdo », se livre lui aussi à une radioscopie précise du phénomène FN. Dans « Le Pen en Provence » (éditions Fayard), il synthétise (300 pages tout de même) quinze ans d’un travail minutieux sur l’extrême droite dans le Sud de la France, ses racines, ses ramifications, la gestion de ses bastions. On ne retiendra ici qu’un aspect de cette enquête : les pages consacrées aux « liaisons dangereuses », depuis vingt ans, entre le camp républicain et le FN. A droite tout d’abord. La Provence, depuis les accords d’Evian mettant un terme à l’Algérie française, est « farouchement anti-gaulliste de Marseille à Nice ». L’échec cinglant de Renaud Muselier peut être aussi interprété comme celui du premier leader régional de droite issu des rangs de l’ancien RPR gaulliste. Le Front national est né sur les décombres du rêve colonial français. A l’image de Guy Teissier, député UMP marseillais, ancien militant dans sa jeunesse d’Unité nationaliste (un groupuscule d’extrême droite qui donnera naissance à Occident puis à Ordre nouveau), les passerelles idéologiques entre droite et extrême droite sont, de longue date, nombreuses en PACA.

L’épisode de la cogestion, en 1986, entre Jean-Claude Gaudin et le Front national pour gouverner la région n’était pas le fruit du hasard ou du seul opportunisme politique. « Les hommes de Le Pen, je les connaissais par c?ur : ils venaient tous de la droite », confie encore aujourd’hui le maire de Marseille. « La diabolisation qui me frappe souvent est moins forte ici », commente de son côté Jean-Marie Le Pen, pourtant si prompt à jouer les victimes. Même depuis 1988, et la condamnation officielle par le bureau du RPR de toute alliance avec le FN, la machine à recycler militants et élus d’extrême droite, fonctionne à fond en PACA. Par « pragmatisme », par cynisme, la gauche, pourtant idéologiquement opposée à l’extrême droite, a elle aussi joué aux « liaisons dangereuses »… Certains se souviennent encore qu’en 1982, Gaston Defferre n’a pas hésité à s’allier avec la liste d’extrême droite Marseille Sécurité pour se faire réélire. Autre épisode moins connu, parmi bien d’autres répertoriés par Frédéric Guilledoux, symptomatique de la guerre des tendances et des personnes au Parti socialiste : aux législatives en 1988, pour se débarrasser de Philippe Sanmarco, l’ancien suppléant de Defferre, des éléments socialistes proposèrent 70 000 francs à son rival FN Jean Roussel afin de favoriser sa campagne…

Autant de petits et de grands compromis qui expliquent, pour une part la progression de l’extrême droite. Dans les urnes, le Front national avance par palier. « Progressivement, on passe à un vote d’adhésion avec, à chaque élection, une surcouche protestataire qui vient augmenter le socle des votes d’adhésions », soulignent Daniel Van Eeuwen et Jean Viard. « Et, il y a de la réserve, ne nous leurrons pas. »

Michel Gairaud

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