« Une solution : la démocratie participative »

mai 2004
Pour une surprise, c'est une surprise. Sans doute parce qu'il fait chaud, ce jour-là, dans son bureau perché au 5e étage du Conseil régional, Zapata Vauzelle nous reçoit sans son grand sombrero. Mais il n'a pas encore rangé au placard sa cartouchière et sa vieille pétoire. Le discours qu'il nous tient garde des accents ouvertement altermondialistes.

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Le Ravi : Tout au long de votre campagne électorale, vous avez proclamé que « la démocratie participative est en marche ». Les conseils consultatifs vont-ils fleurir aux quatre coins de Paca ? Le budget de la région va-t-il être débattu en assemblée générale dans les quartiers comme à Porto Alegre ?

Michel Vauzelle : On ne sauvera la démocratie représentative que si l’on parvient à développer la démocratie participative. Dans les classes dirigeantes, chez les hauts fonctionnaires, domine trop souvent encore l’idée que l’élite, c’est-à-dire eux-mêmes, détient la vérité, que toute expression populaire est démagogique, vulgaire, peu ouverte sur l’avenir. En tant que maire, à Arles, j’ai constaté que les gens en ont assez d’être méprisés, qu’ils sont sensibles à la proximité, à l’écoute. Je me suis rendu à Porto Alegre au Brésil, pour voir comment ils appliquaient la démocratie participative. Je crois qu’il faut explorer leurs idées sans aller jusqu’au bout. On ne peut pas sérieusement imaginer de généraliser l’autogestion. Créer des sortes de soviets, ce serait ouvrir la porte à des foires d’empoigne. Les décisions financières, les grandes lignes directrices d’une politique, doivent être prises par un élu qui puisse être sanctionné par le vote en cas de dérapage, et non par une assemblée populaire dans laquelle n’importe qui peut prendre la parole et faire preuve de démagogie. Par contre, avant et après la décision de l’élu, il est nécessaire de favoriser un mouvement incessant de forums, d’instances de discussions, pour définir ce que doivent être les projets, les réformes, et pour contrôler leur exécution.

Les territoires sont sur-administrés. Entre les départements, les structures intercommunales, les villes, les fonds européens, les directions décentralisées de l’Etat, comment donner une lisibilité aux politiques régionales et permettre réellement aux citoyens de s’y associer ?

Il y a effectivement une trop grande complexité dans l’organisation des collectivités locales. Cette complexité est renforcée par l’illisibilité totale que présentent les financements croisés. Plus personne ne sait qui fait quoi : pour chaque réalisation, on juxtapose une infinité de logos pour symboliser les différents partenaires d’un projet. Au final, les gens disent « ils » et c’est assez dangereux. Lors de ma première réunion avec les présidents de région nouvellement élus, j’ai conseillé d’adopter un comportement modeste. La droite va probablement tenter de reporter ses responsabilités sur nos épaules. Quand Nicolas Sarkozy gèle 7 milliards de crédits, cela va avoir des répercussions à tous les niveaux, du tramway de Marseille qui ne pourra pas se faire, au personnel ATOS dans les lycées que nous n’avons pas les moyens de prendre en charge. Pour associer les citoyens, encore une fois, je ne vois qu’une solution : la démocratie participative. Lors de mon premier mandat, cela ne s’est pas trop mal passé avec les forums organisés pour le contrat de plan, pour le schéma régional d’aménagement du territoire, pour les comités de ligne TER…

Ces réunions sont souvent fréquentées par une minorité, par des personnes fortement diplômées, plutôt âgées, très impliquées dans la vie politique et associative…

La démocratie participative comporte effectivement des risques, mais ils valent la peine d’être pris. L’un d’eux est en effet que seuls les intellectuels s’en emparent. L’une des solutions est de multiplier des concertations par catégories socioprofessionnelles, avec les personnels techniques des lycées, les assistants sociaux par exemple. Il faut diversifier les sujets débattus, comme la Méditerranée, le racisme, et le cadre générationnel des débats, en associant tour à tour les retraités, les jeunes… Un autre risque, surmontable lui aussi, est de se retrouver face à des assemblées d’activistes. Quand nous avons créé le Conseil régional des jeunes, la droite s’y est opposée craignant de mettre en place un conseil de virulents contestataires. Nous l’avons fait même si cela aurait pu se retourner contre nous. De jeunes révolutionnaires ou fascistes, car ils existent, auraient pu rendre impossible la discussion. Nous nous sommes appuyés sur les représentants élus dans les lycées et les centres d’apprentissage. En définitive, la qualité des débats, loin de la politique politicienne, la maturité des jeunes du Conseil, les valeurs qu’ils ont mis en avant, ont vraiment fait plaisir à voir.

Lorsque vous déclarez vouloir faire de Paca « une région hors OGM » ou encore « une zone hors AGCS » (Accord général sur les commerces et services) quel sens concret cela peut-il bien avoir ? Disposez-vous réellement des leviers politiques nécessaires pour agir dans ces domaines ?

Bien sûr, demain, le gouvernement peut m’imposer la culture en Paca des fameux maïs transgéniques qui font mourir les rats. Mais en politique, on obtient aussi des résultats en poussant des portes verrouillées. Je représente aujourd’hui 4,5 millions de personnes. Ce n’est pas négligeable. Sur le dossier des OGM, comme sur d’autres, si les 20 présidents de régions expriment ensemble un point de vue, il sera difficile pour le gouvernement de l’ignorer complètement. Le pouvoir politique et financier – 1 milliard 200 millions d’euros – de la région Paca est effectivement assez réduit. Son budget est inférieur à celui du seul département des Bouches-du-Rhône. Quand on enlève les dépenses légales liées aux lycées, à la formation professionnelle, aux cofinancements obligatoires comme le tunnel autoroutier de Toulon – un véritable gouffre ! – il ne reste pas grand-chose pour les dépenses sociales que je veux développer de façon volontariste. Mais on arrive à financer des mesures importantes : le paiement des livres scolaires, les billets de TER pris en charge à 90 % pour les chômeurs et RMistes… Contre l’idéologie ultralibérale mondiale, contre le modèle américain ou, en France, le modèle Raffarin-Medef, face au grand capital, il n’est pas vain de rappeler ici qu’un autre monde est possible. Durant les trois ans à venir, s’il n’y a pas d’explosion sociale, je vais essayer de protéger la région, avec mes faibles moyens, en aidant en priorité ceux que le gouvernement frappe le plus durement : les chômeurs en fin de droits, les personnes âgées… Il y a donc le verbe, le poids des mots, dont il ne faut pas minimiser l’impact, mais aussi le soutien concret à des initiatives. Dans le Var, je me suis mobilisé, par exemple, auprès des AMAP (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), menacées par les logiques de spéculation immobilière.

Vous revendiquez régulièrement votre appartenance à Attac. Au sein de l’association altermondialiste, nombreux sont ceux qui vous soupçonnent d’opportunisme électoral…

J’appartiens à Attac depuis sa création. Au début de la campagne, certains m’ont reproché de l’avoir rappelé lors d’une réunion publique et à la télévision. J’ai tenu compte de leurs remarques mais sans jamais cacher mes convictions altermondialistes, qui n’appartiennent à personne. A Attac, beaucoup considèrent qu’il est légitime que des élus prolongent par leur action les réflexions du mouvement. D’autres militants jugent qu’un homme politique doté d’une parcelle de pouvoir, a fortiori un président de région, n’a pas le droit de s’emparer d’aspirations populaires sans passer pour un démagogue. Ils n’étaient parfois pas nés quand j’affrontais la police, en 1968, sur les barricades à Paris, ni quand, dans mes écrits, j’avançais des thèses qui sont maintenant les leurs. En politique, on n’a rien à gagner : on est en permanence l’objet de reproches et de requêtes. J’ai fait le choix de m’y consacrer parce que j’étais en révolte contre l’injustice sociale. C’est ce qui fonde aujourd’hui encore mon engagement.

Propos recueillis par Michel Gairaud

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