Vauzelle, majorité absolue, présidence relative

avril 2004
Michel Vauzelle pérore. Confortablement réélu, il se félicite d'un vote d'adhésion à « un programme de solidarité, de justice sociale, d'écoute ». Pourtant, il y a six mois, Muselier ne doutait pas un instant de sa victoire, et Vauzelle se demandait s'il fallait vraiment construire un programme « de gauche ». Que s'est-il passé en si peu de temps ?

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Notre région est-elle devenue une terre de gauche ? A regarder les résultats des élections nationales et locales des dernières années, on peut en douter. La gauche a vu ses scores tomber au plus bas lors de l’élection présidentielle de 2002, avant d’être laminée aux législatives de la même année. Le tassement du vote FN aux législatives avait alors largement profité aux candidats de droite. Résultat : trente trois députés sur quarante sont de droite, tandis que depuis 2001, toutes les grandes villes de la région sont aux mains de l’UMP. Les départements du Var et des Alpes maritimes sont devenus des bastions de la droite, tandis que le Vaucluse lorgne plus vers l’extrême droite. Les Bouches-du-Rhône et les départements alpins restent incertains, avec une gauche qui se maintient au coude à coude avec la droite républicaine. Les leaders régionaux de gauche sont presque tous élus et ancrés dans les Bouches-du-Rhône.

Dans ce contexte, les élections régionales et cantonales de 2004 ne marquent pas un tournant radical dans l’équilibre politique de la région. C’est bien dans les trois départements réputés le plus à gauche que Michel Vauzelle a obtenu plus de 50 % des suffrages. Il est battu (de justesse) par Muselier dans le Var et les Alpes maritimes. Enfin, dans le Vaucluse, il profite du très bon score du FN, qui prend incontestablement ses voix à la droite républicaine. Tout se passe comme si la droite avait subi l’ampleur nationale du vote sanction sans se battre localement.

Muselier discrédité

Ce résultat médiocre de la droite est sans doute lié à la stratégie de Jean-Claude Gaudin, leader régional, qui connaît bien la structure politique régionale, divisée en fiefs pour des élus qui sont avant tout des chefs de clientèle locale. A Marseille, il n’a jamais investi dans la reconquête des quartiers populaires, qu’il laisse à la gauche le soin de gérer, en utilisant les budgets départementaux et régionaux pour des actions qui dépendent normalement du budget municipal. Au final, la gauche y affronte régulièrement le FN au second tour des élections, et gagne facilement. A l’échelle du département, pendant la campagne électorale, la droite marseillaise a volontairement délaissé le secteur Ouest de l’étang de Berre, en s’entêtant à vouloir y construire un incinérateur, projet impopulaire s’il en est. La dynamique de conquête annoncée pour la région n’a pas eu lieu. Depuis le désaveu de Muselier, écarté par la médiation de Gaudin lors des négociations avec l’UDF, le secrétaire d’Etat ne fait plus figure de leader de la droite régionale. Les autres leaders locaux sortent gagnants des élections cantonales (Falco dans le Var, Estrosi dans les Alpes maritimes), et Muselier apparaît ainsi comme la seule victime de la débâcle. Son appel au vote FN, inutile puisque l’extrême droite n’a pas fait un score impressionnant par rapport aux attentes, a fini de l’enfoncer.

Vauzelle, tout à fait ravi

Pour autant le programme de Michel Vauzelle a-t-il convaincu les électeurs de la région ? Son analyse du scrutin détonne du discours des leaders socialistes nationaux : il revendique d’abord un vote d’adhésion, et centre son projet régional sur un seul courant d’idées : la compensation des effets dévastateurs, selon lui, de la mondialisation. On sait que Michel Vauzelle est adhérent d’ATTAC, comme plusieurs élus de gauche dans la région, mais de là à y puiser l’essentiel de ses idées, il y a de quoi étonner les électeurs régionaux. En même temps, l’argument altermondialiste n’est pas dénué d’effet dans une région qui connaît une immigration forte de population plus aisée venue du Nord de la France. Les deux candidats ont surfé sur le thème de l’indépendance régionale, et revendiqué la capacité de gérer la région contre Paris. Michel Vauzelle s’érige ainsi en rempart contre la politique gouvernementale, en promettant notamment la création de nouveaux emplois jeunes régionaux. Peu importe qu’il n’ait pas les moyens de ses ambitions, le parti socialiste est encore trop étonné de sa victoire pour remettre en cause les engagements coûteux qu’il a pris devant les électeurs.

Enfin, l’existence d’un programme politique à gauche est encore peu crédible. La surenchère des promesses pendant la campagne, les créations d’emplois promises passant par exemple de 38000 à 50000 sans justification apparente, ne donnent pas une grande crédibilité aux équipes qui vont gérer la région. En effet, les leaders du PS se sont accommodés pendant six ans d’une majorité relative qui justifiait l’inaction. Ils ont utilisé les financements régionaux dans une logique de distribution sur leurs fiefs électoraux. Les services techniques instruisaient les dossiers, pour voir ensuite les financements attribués sur des critères essentiellement politiques, jugés notamment à l’aune de l’impact de chaque projet sur la communication de la région. Si Michel Vauzelle a embauché à la région, il a également « placardisé » un grand nombre de fonctionnaires territoriaux, et largement affaibli la capacité technique de l’institution. A la faveur de la victoire, il dénonce aujourd’hui l’accusation de « bilan zéro » lancée par Muselier au début de la campagne, mais sur certains dossiers, des élus de son camp reconnaissent volontiers qu’elle était parfois fondée, dans le domaine des transports en particulier (voir le Ravi n°4).

On peut imputer ces incohérences à la personnalité de Michel Vauzelle, devenu homme politique par la grâce de Mitterrand et envoyé à Arles pour se construire un ancrage territorial à la demande du président de la République. Auréolé de ses fonctions ministérielles, il n’a pas souhaité conquérir la fédération PS des Bouches-du-Rhône, quand il le pouvait. S’il est devenu président de région, c’est au mieux pour concilier les intérêts des leaders socialistes établis, sans jamais trancher leurs différends. Entouré d’universitaires plus que de politiciens, Michel Vauzelle est un leader consensuel, c’est à dire pas tout à fait un leader. Sa victoire offre de réelles perspectives de changement, notamment en donnant une place conséquente aux écologistes. Mai permettra-t-elle au président sortant de conquérir une place plus stratégique au sein du PS ? Rien n’est moins sûr.

Etienne Ballan

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