Pas triste, le stade d’Istres

novembre 2004
Le FC Istres, lanterne rouge du championnat, présente sur la pelouse un jeu morne et terne. En revanche, sur le chantier de son futur stade, il dribble la légalité avec l'éblouissante virtuosité d'un Maradona.

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L’histoire du FC Istres débute par un conte comme la fée cathodique aime à les raconter, celui du Petit Poucet de L2 promu parmi les ogres de la L1. Seul hic, le club est virtuellement SDF, puisque le stade Bardin, 9 000 places, ne remplit pas le cahier des charges de la Ligue de football professionnel (LFP). L’affaire ne date pas d’hier, puisque Istres bénéficiait déjà d’une dérogation en L2. Sommé par la LFP de trouver un stade pour l’actuelle saison, Bertrand Benoît, président du club, conclue un arrangement avec le syndicat d’agglomération Ouest-Provence (qui regroupe certaines communes de l’Etang de Berre, dont Istres et Fos). Bernard Granié, président de Ouest-Provence et maire de Fos (1), désigne le stade de rugby Parsemain, sur sa propre commune, comme la « seule possibilité »sur l’ensemble du territoire de la communauté urbaine, et annonce la requalification de l’espace du stade existant, en construisant trois tribunes de 13 000 places, portant la capacité totale à 17 000. M. Granié avait alors estimé le coût total à 4,6 millions d’euros (2). Fin décembre 2003, une demande de permis de construire est donc déposée auprès de la commune de Fos, qui le délivrera début mars 2004. Le permis concerne une tribune de 4500 places et il est prévu les travaux soient achevés mi-août, juste avant la reprise du championnat. Depuis novembre, le budget a tout de même plus que doublé, puisque la LFP indique un total de 10,4 millions d’euros (7,6 millions d’euros pour Ouest-Provence, 2,8 millions pour le FC Istres)… Le président de la LFP, Frédéric Thiriez, un peu avant le coup d’envoi du chantier, insiste « sur la nécessité de respecter les délais prévus ainsi que les procédures administratives d’homologation » (3). Tout va donc pour le mieux, jusqu’à ce que M. Delpey, sous-préfet d’Istres, procède au contrôle de légalité, et découvre deux entorses sérieuses : absence d’étude d’impact globale et non-conformité des voies d’accès au stade. En effet, l’accès prévu au stade est un défi à la sécurité routière, tandis que le permis de construire concerne une tribune de 4500 personnes, alors que le projet porte sur un stade de 17 000, ce qui ressemble curieusement à du « saucissonnage ». C’est benoîtement que le président istréen Bertrand Benoît explique : « nous estimions ne pas être tenus à cette étude d’impact, nécessaire seulement à partir de 5000 places » (4).

Pendant le spectacle, les travaux continuent

Le sous-préfet engage alors deux procédures : un déféré sur le permis de construire, plus une requête en référé demandant la suspension immédiate des travaux. Il est en effet indispensable de stopper le chantier avant que le juge ne se prononce sur le fond, le béton avançant plus vite que la justice dans notre beau pays. Le Tribunal Administratif, de manière inhabituelle, ne suit pas les conclusions du sous-préfet, qui fait appel. Entre-temps, le budget du stade continue à gonfler : 13 millions d’euros, annonce l’Equipe au mois d’août. Le 16 septembre dernier, la Cour d’Appel prononce la suspension du permis de construire. Réaction de l’inénarrable Bertrand Benoît : « Cela ne change en rien le déroulé des travaux car, depuis que le sous-préfet avait demandé l’annulation du permis de construire, nous l’avons modifié ». Ce que confirme, le lendemain, Bernard Granié : « un deuxième permis de construire, qui prend en compte les remarques préfectorales, a depuis été déposé, et l’étude d’impact a été faite en bonne et due forme ». (5) Pendant la suspension des travaux, les travaux continuent donc, au mépris de la justice. Selon une de nos sources, la stratégie est celle « du fait accompli » : avancer à tout prix le chantier du stade, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour le démolir. La deuxième demande de permis de construire a été, contrairement à ce qu’affirment nos duettistes – décidément très proches – seulement déposée à la mairie de Fos le 22 septembre, et le permis délivré le 1er octobre. En huit jours, alors que les délais moyens sont de trois mois… Cette deuxième demande est bien déposée avec l’étude d’impact manquante pour le premier permis, réalisée elle aussi en un temps record, jointe à l’enquête publique obligatoire, qui conclut favorablement. Cette dernière a été réalisée au mois de juillet, gage d’une publicité et d’une participation maximale. De fait, elle a recueilli les avis de trois personnes… Mais tout cela, c’est déjà bien assez, pour satisfaire à des « tracasseries engendrées par les services de l’Etat » (6).

Un véritable festival

Le FC Istres se livre à un véritable festival, puisque le 28 septembre, il dépose une requête en référé conservatoire devant le Tribunal Administratif pour mise en sécurité du chantier. Selon une source proche du dossier, la requête du club n’est pas piquée des hannetons : « En gros, ils demandent l’autorisation de mettre le toit pour protéger les tribunes, de planter la pelouse pour protéger le sol, et de poser les lunettes pour protéger les chiottes ! » Bref, protection du chantier et fin des travaux se ressemblent furieusement. Mais ne soyons pas mauvaise langue : il y aurait eu, de fait, un mystérieux vol de plusieurs dizaines de tonnes (!) de matériel sur le chantier (7). Pendant ce temps, sans doute alerté par les déclarations de M. Benoît à l’AFP, le sous-préfet fait constater par procès-verbal l’infraction au code de l’urbanisme, porte plainte au pénal, et met en demeure le maire de Fos de prendre un arrêté d’interruption des travaux. Puis, le 8 octobre, il s’attaque au deuxième permis avec une célérité faisant pendant à celle du FC Istres. Son immédiate requête en référé vaut suspension automatique des travaux pour un mois, avant que le juge ne se prononce. Comme pour le premier permis de construire, le second est aussi déféré pour un jugement sur le fond. La réaction du truculent Bertrand Benoît ne se fait pas attendre : « On a suspendu les travaux par mesure d’apaisement » (8) Aujourd’hui, alors que quatre procédures restent pendantes, les questions demeurent : Pourquoi cette urgence, qui a conduit le FC Istres à s’asseoir sur la légalité à plusieurs reprises ? La réponse qui vient à l’esprit est que le club craint les foudres de la LFP, qui le menace d’une amende de 350 000 euros par match non disputé sur leur terrain (Istres joue « à domicile » au stade de Nîmes). Mais on est aussitôt démenti par l’impayable Bertrand Benoît : « Quant au principe de l’amende de 350 000 euros par match dont on est menacé par la Ligue, il ne m’inquiète pas outre mesure. Il y a des stades qui ne sont pas aux normes sans qu’on y applique une amende » (9) M. Benoît avait également déclaré auparavant qu’il estimait « ne pas avoir à déménager », s’appuyant sur un avis du Conseil d’Etat (10). Ironie finale, au vu de ses actuelles performances sportives, il se pourrait bien que le FC Istres inaugure son stade flambant neuf enfin « homologué L1 » pour sa redescente en L2.

M. Venator

(1) M. Granié a récemment démissionné de son fauteuil de maire pour se consacrer exclusivement à la présidence d’Ouest-Provence (2) L’Equipe du 14/11/03 (3) L’Equipe du 24/03/04 (4) La Provence du 05/06/04 (5) Dépêche AFP du 17/09/04 (6) C’est ainsi, que lors d’un discours, M. Granié a qualifié le respect de la loi (28/07/04) (7) Contactés par le Ravi, les services de police n’ont pas souhaité en dire plus. (8) L’Equipe du 13/10/04 (9) L’Equipe du 13/10/04 (10) L’Equipe du 17/12/03

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