Femmes des printemps arabes
« Qu’on le veuille ou non, la révolution a libéré la parole de tout le monde, en particulier celle des femmes », explique Yosra E. membre du Collectif Chaml (1) qui regroupe des Tunisiennes féministes autour d’un blog sur lequel elles publient leurs textes en arabe et en français. Des mots sans concession qui parlent du statut de la femme, des pressions infligées par la société, le patriarcat et la religion afin de « rompre le mythe de "la femme tunisienne" qui doit s’estimer heureuse d’avoir tant d’acquis sociaux », poursuit Yosra E.
Si les femmes arabes n’ont pas attendu les révolutions pour devenir féministes et réclamer leur émancipation, l’espoir des printemps a donné un nouveau souffle à leur combat (2) et de nouveaux visages sont venus s’engager dans la lutte. « Notre seule crainte c’est que cela prenne plus de temps que nous le croyons », note Yosra E. Depuis 2014, les droits des femmes sont garantis par l’article 45 de la nouvelle Constitution tunisienne, mais le plus compliqué est de faire évoluer les mentalités.
Si les luttes de ces femmes sont ancrées dans les luttes des peuples, aucune démocratie ne sera possible sans la reconnaissance de leurs droits. En Egypte, où depuis sa prise de pouvoir Sissi emprisonne à tours de bras et où 99 % des Egyptiennes auraient été harcelées au moins une fois dans leur vie, la démocratie n’est plus qu’une chimère. « Quand on n’a pas le contrôle de sa vie, de son revenu, des lois, de la politique, on compense en faisant la loi dans sa sphère privée, explique Nada Riyadh productrice de "Bent Al Masarwa" (Fille de l’Egypte), groupe de rap féministe. Et beaucoup d’hommes pensent que les droits des femmes sont une menace pour leur masculinité et leur autorité. » Les textes de « Bent Al Masarwa », soutenus par l’ONG Nazra, abordent des sujets tabous comme la virginité, l’honneur ou le harcèlement sexuel.
Rougina, 28 ans, est issue d’un milieu modeste, elle a grandi au Caire dans une famille chrétienne. En France depuis six ans, elle vit à Marseille. « Certains me reprochent de ne pas mener ce combat en Egypte mais partir était le seul moyen pour moi de vivre ma vie de femme, explique-t-elle. Être libre d’abord pour ensuite pouvoir le transposer au collectif. » Son arme, c’est son éducation. Elle apprend le français chez les bonnes sœurs. « C’est ma langue de liberté, sourit-elle. En arabe on ne peut pas tout lire, en français oui ! » Alors elle dévore les livres… Et rencontre les écrits de Simone de Beauvoir. L’évidence est là. Si sa mère a renoncé à son indépendance par pressions sociales, Rougina pense qu’inconsciemment elle lui a transmis la force nécessaire pour rompre ses propres chaînes. « En Egypte, votre corps ne vous appartient pas, c’est une propriété publique. Ici je me le suis réapproprié », souligne-t-elle.
Le regard de ces femmes en lutte se tourne forcément vers la Syrie et la Libye, où les rêves de liberté soufflés par les printemps sont venus s’écraser dans les ténèbres d’un hiver sans fin, dans « la sourde indifférence du monde », ajoute Amal Claudel du collectif. Avant de conclure non sans espoir : « Mais ni les tortures, ni les viols collectifs, ni les conditions difficiles des réfugiées ne convertissent les femmes au silence et à l’obéissance. »
Samantha Rouchard
1. www. collectifchaml.wordpress.com
2. Féministes du monde arabe de Charlotte Bienaimé (éd. Les Arènes).