Pas très cathodique…
C’est le red’chef qui va faire la tête. Dans une rubrique intitulée « Y a pas que Paca », parler d’une télé marseillaise ! Qui, de surcroît, a pour principal objet et port d’attache la Plaine, ce quartier populaire du centre-ville. Pourtant, Primitivi est une doyenne et a su démontrer qu’en s’intéressant à son quartier, on peut parler du et au monde. En témoigne La fête est finie sur MP 2013 et, au-delà, la kyrielle de films qui creusent le sillon de la dénonciation de la gentrification, l’embourgeoisement des quartiers populaires (lire aussi page 12 notre présentation du festival Le Printemps du film engagé).
Mieux : avec inventivité et une bonne dose de débrouille, Primitivi a réussi à rentrer dans les clous des dispositifs de soutien du ministère de la Culture avec son « doctorat sauvage en média libre ». De quoi récolter quelques milliers d’euros et salarier une ou deux personnes, acheter un peu de matériel…
Entrer en résistance
Après avoir quitté le squat Jadis Igor et hésité à partager les anciens locaux de Ritimo, le réseau « pour un monde solidaire », les voilà dans un minuscule deux-pièces entre cours Julien et Noailles avec vue sur le mur d’en face et, en se tordant le cou, quelques râteaux. De quoi rappeler les débuts au « vétéran » Nicolas Burlaud : « Primitivi, c’est né à la fin des années 90 de gens venus de l’audiovisuel – souvent des techniciens – qui, sur des bases très politiques, ont décidé d’entrer en résistance en faisant la télé dont ils avaient envie. A un moment où le mouvement des télés pirate était encore très vivace. On a donc commencé avec un petit émetteur hertzien pour des diffusions pirates sur Marseille. »
A l’époque, le tiers secteur audiovisuel rêvait de fréquences, de « must carry ». Le numérique est venu mettre fin à cette histoire. Mais pas à l’envie d’être « ailleurs que dans les espaces que l’on veut bien nous accorder ». D’où des projections en manif, devant le centre de rétention… Sans oublier d’autres supports, comme des collages muraux. Se glisser dans les interstices, réinvestir l’espace public pour une « réappropriation de la ville et des quartiers populaires. En redonnant la parole à ceux qui ne l’ont pas. Fabriquer du "nous". Quand on le met dans des dossiers, ce n’est pas un vain mot. C’est ce que l’on fait ».
D’où l’animation d’ateliers d’initiation à l’audiovisuel dans les quartiers nord. Et une flopée de films sur la gentrification. Avec, au-delà de La fête est finie, un vaste chantier en cours : La bataille de la Plaine, un film sur la réhabilitation de la place Jean Jaurès. Quand on leur demande où ça en est, on nous montre un mur couvert de post-it !
Avant tout dans la pratique
Car, pour dénoncer ces opérations de rénovation en trompe l’œil, quoi de mieux que de rénover aussi narration et collectage de l’info ? Comme avec la « lucarne » – un cadre avec une caméra – qui permet « autant de recueillir la parole que de la restituer ». Avec l’envie aussi de traiter ce sujet par le biais de la fiction : « On a imaginé que la ville renonçait à son projet de réhabilitation et allait même plus loin… en rayant le quartier de la carte ! »
Un projet qui, en s’inspirant du travail de Peter Watkins sur la Commune, a vu le jour lors du « doctorat sauvage en média libre » : « Au départ, c’est une vanne suite à notre rencontre avec des architectes qui ont mis en place un doctorat sauvage d’architecture. On s’est dit qu’on allait faire pareil. Sans aucune prétention magistrale. A travers la rencontre avec des réalisateurs, l’initiation à la vidéo, au montage et des projections, on est avant tout dans la pratique. Mais cela nous a permis de coucher sur le papier ce qu’on faisait. Et de réfléchir à ne pas reproduire les schémas dominants… »
Après avoir reçu en février Distribuzioni dal Basso, un collectif italien qui a mis en place un système alternatif de redistribution des droits d’auteurs, fin mars, ils recevront le réalisateur belge Thierry Deronne qui, à force de s’investir au sein des médias communautaires en Amérique latine, a fini par diriger la télé de Chavez ! De quoi interroger la dimension « populaire » des médias « pas pareils » et leur rapport au(x) pouvoir(s).
Sébastien Boistel
Article publié dans le Ravi n°149, daté mars 2017