« Éduquons », c’est une insulte ?
Ça sent le neuf. Un peu trop peut-être : inauguration début juillet à côté de St-Charles des nouveaux locaux du Programme de réussite éducative (PRE), un dispositif d’aide aux enfants (1). Mais quand Arlette Fructus, adjointe (UDI) à la politique de la ville à Marseille, clame qu’elle « adorerai[t] travailler dans de tels bureaux », Yves Rousset, alors encore préfet à l’égalité des chances (2), la tacle : « Pour ça, faudra sortir le carnet de chèques. » Quant à celle qui vient d’être bombardée directrice, Moktaria Safis, cheveu sur la langue et larme à l’œil, elle se voit décorée devant ses enfants des palmes académiques.
Ses troupes, une dizaine de « référents de parcours », se tiennent à distance du buffet. Et des journalistes. Comme leur patronne. Car si le préfet espère que ce dispositif (associant État, Éducation nationale, Caf…) révélera les « Zidane », les « Abd Al Malik », avec, d’ici 2019, « la prise en charge de 2000 enfants », ses transformations interrogent.
La période de transition a en effet joué les prolongations. Certes, en absorbant la politique de la ville (le GIP qui portait jusque-là le PRE), la métropole a tout chamboulé. Mais, c’était prévisible. Rousset espérait la renaissance du PRE en « septembre » 2016. Ce sera septembre 2017 ! « On savait qu’il allait y avoir du retard, dit-il. Il fallait un décret. On l’a eu fin décembre. »
Un retard de fait anticipé. En juin 2016, il explique au GIP que, « pour éviter toute interruption et permettre une reprise des parcours », il est fait appel à deux associations, Contact Club et la FAIL, une antenne de la Ligue de l’Enseignement. Qui, prudente, lance le recrutement de trois éducateurs pour des CDD de 9 mois. Et ce alors que les salariés du PRE – après avoir vu la quinzaine de leurs collègues contractuels se faire licencier – étaient encore en poste !
Sans parler des associations qui collaboraient au PRE et pour lesquelles tout s’est arrêté. Soupir d’un éducateur qui a perdu son poste : « Àpart pour faire table rase, je ne comprends pas pourquoi il a été mis fin à un dispositif qui permettait un réel travail partenarial au profit des familles. Elles non plus d’ailleurs. » Étonnement partagé par une autre association : « Alors qu’on s’était plié à toutes les exigences et que l’on n’avait que de bons retours, on a découvert qu’au final ça n’allait pas. Et tout s’est arrêté. Du jamais vu ! »
Pour un programme dont elle avait pourtant la responsabilité d’assurer le suivi, Safis a la dent dure : « En moyenne, dans un PRE, on compte une centaine d’enfants suivis par équivalent temps plein (ETP). A Marseille, il n’y en avait que 22 ! Les parcours duraient 36 mois, contre 12 en moyenne. Et coûtaient plus de 6000 euros contre un millier. On a proposé des changements. Sans succès. » Et d’assurer qu’il n’y a jamais eu plus de « 700 » enfants suivis.
Diagnostic contesté
Or, dans le rapport d’activité 2015, il est fait état de « 1047 enfants bénéficiaires ». S’appuyant sur l’audit 2013 du cabinet Trajectoires, elle force le trait : la moyenne globale étant de « 86 enfants par ETP » contre « 32 » à Marseille. Oubliant, comme le rappellera Fructus, que « le diagnostic a mis en exergue la qualité des parcours et l’accompagnement opérationnel mis en œuvre, ainsi que celle du partenariat mobilisé ». Ou ce que le directeur du PRE écrit fin 2015 à ses agents : « Votre implication et votre sérieux ont permis d’atteindre les nouveaux objectifs fixés par la gouvernance. » Dans le même courrier, il leur était demandé de « ne pas procéder à de nouvelles entrées en parcours ».
En attendant, durant la période transitoire, il n’y a eu, dixit Safis, que « 271 » enfants suivis. Moins que le dernier bilan de l’antenne couvrant le centre-ville ! Et pour un coût que Rousset évalue à « la moitié du budget du PRE » qui s’élève à 1,7 millions d’euros.
De fait, alors que début 2015 un salarié alertait les représentants syndicaux sur une « rumeur » selon laquelle « la préfecture [souhaiterait] fermer le PRE pour le rouvrir deux à trois mois plus tard sans son personnel actuel », sur les cinq qui resteront, un seul a réintégré le PRE, un autre contestant son licenciement. Rousset, lapidaire : « En référé, il a perdu. On verra au fond. » Ce que les anciens coordonnateurs ne goûtent guère, c’est de voir leur fonction disparaître et de s’être vu proposer des postes de référents de parcours. Si, pour Safis et Rousset, c’est kif-kif, en 2013, l’audit écrivait : « Les missions des coordonnateurs et des référents doivent être clarifiées et harmonisées. » D’où une définition claire dans un document interministériel d’octobre 2016 intitulé « Instruction relative au Programme de réussite éducative ».À Marseille, qu’importe : fini les « coordo’ », les référents endossant une partie de leurs missions. Avec, au sommet, la directrice.
Au-delà, ce qui interroge, c’est la refonte d’un dispositif essentiellement centré autour de l’Éducation nationale et qui va se résumer à « deux à trois actions individualisées », sur une « durée déterminée (trois mois renouvelables) » pour des enfants non en « difficulté » (et encore moins « en danger ») mais présentant des « fragilités », le PRE « ne devant pas se substituer à l’Aide éducative à domicile et à l’Action éducative en milieu ouvert ».
Grimace d’un associatif : « Ça ressemble plus à de l’orientation. Car dès qu’on se penche sur les situations individuelles, ça prend du temps. » Un éduc’ ajoutant : « Pourtant, avec le PRE, on était presque dans du préventif, en évitant des mesures plus lourdes. » Et un ancien de craindre qu’on mette là « des moyens pour des mômes qui ne sont peut-être pas ceux qui en ont le plus besoin ». Avec un objectif avant tout quantitatif : d’ici 2 ans, 2000 enfants suivis par 20 référents.
Et Safis d’avouer : « L’ancien programme a peut-être voulu répondre à l’urgence territoriale en étant un peu trop sur du travail social qui ressemblait à de la prévention spécialisée. C’est vrai que c’était aussi les besoins territoriaux. » Avant de prendre congé : « Je vous laisse, mes enfants attendent ! » Ils ne sont pas les seuls.
Sébastien Boistel
1. Cf le Ravi n°141.
2. Il a été nommé préfet en Haute-Loire, remplacé par une ex-conseillère de Cazeneuve, Marie-Emmanuelle Assidon.
Enquête publiée dans le Ravi n°154, daté septembre 2017