Travail social, tu perds ton sang froid !
« Pour nous futurs travailleurs sociaux, c’est une situation inconcevable », explique une étudiante de l’Institut méditerranéen de formation et recherche en travail social (IMF). En janvier, alors que les élèves veulent organiser une collecte pour les 250 réfugiés abrités dans le squat St Just (Marseille 13ème), ils découvrent que la bâtisse, appartenant au diocèse, doit être vendue à… l’IMF. Aucun élève ne veut être caution d’une expulsion. Ils s’organisent alors en « collectif Chape », du nom de rue de l’un des sites de l’institut qui se partage entre Marseille, Arles et Avignon. Ils espèrent un soutien de leur direction. « Au contraire, on nous demande de veiller à ce que le collectif 59 [qui a ouvert le squat, Ndlr] « gère le flux ». On nous explique que si on ne peut pas déménager, l’antenne devra fermer, les formateurs seront licenciés et nous n’aurons pas nos diplômes. On s’est sentis instrumentalisés », souligne une étudiante, dénonçant une ambiance très tendue en interne.
Réfugiés à expulser
Le diocèse a lancé une procédure d’expulsion. Après une première mise à l’abri le 10 avril, il reste encore une centaine de familles à St Just. La direction de l’IMF se défend d’une quelconque pression sur « un collectif dont on ne sait pas qui le compose », souligne Marie-Pierre Sarat, directrice générale qui aimerait que « tout le monde sorte la tête haute » de cette histoire. 300 000 euros ont déjà été dépensés en études. « Ça nous coûte de l’argent », poursuit-elle. « Et ça pénalise nos budgets », explique François Tessier, président de l’Institut, inquiet que leurs agréments ne soient pas renouvelés faute de locaux aux normes. Le collectif a demandé clairement à l’IMF de se positionner, la direction l’a pris comme « une menace ». La CGT qui s’oppose à l’expulsion a demandé à l’Institut « de discuter ou a minima d’informer ».
Mais la communication ne semble pas être le fort de l’IMF. Car nombre de formateurs dénoncent eux aussi des pressions depuis plusieurs années. Le 4 juillet 2018, la direction est alertée par la DUP (Délégation unique du personnel) sur la situation de 7 salariés sur les sites de Marseille et d’Avignon « pour danger grave et imminent ». Il est rapporté des cas de « maltraitance », « humiliations », « actes discriminatoires », « mépris », « burn-out », « épuisement professionnel », « syndrome anxio dépressif ». Une enquête menée en interne a finalement conduit au licenciement, à l’automne, d’une cheffe de service sur Marseille. « Ça fait 10 ans que je suis en direction et je n’étais pas habituée à des tensions pareilles », s’étonne Marie-Pierre Sarat. Mais ce départ, au lieu d’apaiser, aurait créé des clans avec des « pro » ancienne cheffe de service opposés à ceux qui l’ont dénoncée.
Une enquête interne a été proposée à Avignon, mais les salariés – sauf un – n’auraient pas souhaité y participer, selon la directrice. « Nous sommes dans un contexte difficile qui réinterroge le métier, il y a aussi les baisses de crédits […] On travaille beaucoup sous tension avec de moins en moins de visibilité », tente d’expliquer la DG. Différents diagnostics internes ont été menés en 2012, 2015, 2017, soulignant un manque d’équité et de reconnaissance, et un autre est en cours. Un accord collectif sur la qualité de vie au travail a été signé en 2017. « La direction enquête, mais ne résout rien », souligne une salariée qui, comme les autres, a insisté pour rester anonyme, par peur des pressions.
Salariés à bout
« Je vous informe par la présente que je me casse de cette boîte de merde. » Le 31 mai 2017, à 4h37 du matin, Yves-Louis Gueguen, technicien du service informatique, envoie un mail à tout l’IMF. Il contient des propos injurieux envers la directrice générale qu’il juge « incompétente ». Licencié pour faute grave après 14 ans de service, il ne regrette rien. « J’étais à bout, explique-t-il. Si je l’ai envoyé à tous les salariés, c’était pour qu’ils saisissent l’occasion de se révolter. Mais ils n’en ont rien fait. » Il décrit une direction « méprisant le personnel » et « insidieuse ». « Un jour, il y aura un drame à l’IMF », conclut-il. Marie-Pierre Sarat évoque « un cas psychiatrique […] dont on aurait dû se séparer bien avant ». « C’est toujours le salarié qui est remis en question. Il y a une déni total de la direction », souligne un salarié. « Les IRP (instances représentatives du personnel) ont toujours donné l’alerte, si une responsabilité doit être trouvée, elle est ailleurs », insiste Emmanuel Chastin, représentant syndical CGT.
Henri Saint-Jean a passé 20 ans à l’IMF. Ancien délégué CGT, il dit avoir été freiné dans sa progression de carrière. « Doctorant en sciences de l’éducation, j’étais pourtant l’un des plus qualifiés de l’IMF », souligne-t-il. Il est parti en retraite pour, dit-il, ne plus être harcelé par la cheffe de service. « J’ai appris qu’elle avait été licenciée. Malheureusement, ce n’est qu’un fusible qu’on a fait sauter… », affirme-t-il. Le 29 mars, l’Union départementale CGT alerte par mail la direction « sur des situations […] délétères et antagonistes aux missions fondamentales de votre association » et dénonce « des conditions de travail fortement dégradées ». L’UD souhaite une rencontre. Marie-Pierre Sarat s’y refuse mais précise qu’elle se tient à la disposition du représentant syndical interne. Elle réfute les affirmations avancées par l’UD, martelant dans son mail que « l’IMF est dans une dynamique favorable pour assurer la sérénité des conditions de travail de ses collaborateurs et être à l’écoute de ces derniers ». Il suffit parfois de l’écrire pour s’en convaincre…
Samantha Rouchard
Enquête publiée dans le Ravi n°173, daté mai 2019