De Montgolfier « Mister courage » 2005

mars 2005

La justice niçoise est définitivement débarrassée du juge Renard. Le Conseil supérieur de la magistrature a en effet récemment ordonné la mise à la retraite d’office du juge. Maigre consolation, il a échappé à la radiation. Fin de carrière lamentable donc pour un juge accusé d’avoir entretenu des amitiés douteuses avec des personnages troubles, d’avoir privilégié ses amitiés maçonniques et protégé ses amis politiques. Les faits sont connus, ils ont fait l’objet d’un rapport accablant établi par Vincent Lamanda pour le CSM.

C’est ce rapport que reprend, dans un ouvrage récemment paru, le journaliste Sébastien Fontenelle (1). Le rapport Lamanda, et rien que le rapport. Ecrit sur le ton de l’indignation, les limites de l’ouvrage sont celles du rapport qui se contente d’enquêter sur le seul cas du juge Renard, et rien d’autre. Ainsi, s’il est démontré que le juge Renard a fait preuve d’une complaisance coupable envers les puissants, grands chefs d’entreprises et élus, on ne saura jamais si, dans un sens inverse, il a fait preuve d’une sévérité disproportionnée envers les faibles, les justiciables qui ne pouvaient se prévaloir ni de protections maçonniques ou autres, ni d’un quelconque mandat électif. Le juge Renard n’a-t-il lésé que la Justice et l’Equité ? M. Renard était bien noté par sa hiérarchie : peut-on imaginer qu’en dehors de quelques cas bien déterminés, il ait rendu une justice équitable ? A-t-il adapté ce précepte de Maurice Arreckx, ancien maire de Toulon et expert en clientélisme : « Les cadeaux pour mes amis, la justice pour les autres » ? Il ne s’agit pas là de trouver au juge Renard des circonstances atténuantes, mais bien plutôt de connaître l’exacte ampleur de ses errements. Sébastien Fontenelle, comme Vincent Lamanda, ne sont pas parvenus à faire toute la lumière sur M. Renard, et renforcent au contraire la zone d’ombre autour du juge.

Autre lacune du livre, il n’évoque que très succinctement ce qui pourrait faire système. Tout juste se contente-t-il de citer, avec une jubilation non feinte, ceux qui ont apporté au juge Renard un soutien aujourd’hui gênant. Fontenelle évoque aussi, à la suite du procureur de Montgolfier, l’existence de réseaux maçonniques, sans s’y attarder par ailleurs, comme si manquaient les munitions (2). Au bout du compte, le combat pour une juridiction neutre et équitable est résumé par la victoire du procureur de Montgolfier sur le juge Renard, symbole à la fois des dysfonctionnements de la justice et des réseaux maçonniques. La réalité est-elle si simple ?

Célébration du Proc

Certes, deux récentes décisions de justice enfoncent plus encore le juge Renard. Le 3 février, le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé l’ancienne gouvernante de M. Tannouri, sulfureux homme d’affaire libanais aujourd’hui en fuite, poursuivie pour diffamation par le malheureux juge. Dans une lettre adressée au Garde des Sceaux, la gouvernante avait évoqué des cadeaux offerts par Tannouri au juge. Les cadeaux n’existaient probablement pas, mais le juge est bien intervenu en faveur de Tannouri. Le parquet a fait appel. Enfin, Renard retournera en correctionnelle pour avoir consulté illégalement des fichiers de police, une affaire longuement évoquée dans le livre de Fontenelle.

Le juge Renard sur la touche, tout va-t-il dorénavant aller pour le mieux dans la justice niçoise ? Au risque de jouer les rabats-joie, on s’interroge au Ravi sur le traitement de certains dossiers, ceux mettant en cause la mairie de Menton ou d’autres, qui semblent s’enliser ou qui connaissent une issue inattendue (lire ci-contre). « Le temps de la justice n’est pas celui du journalisme », nous répondrait très certainement, et avec raison, le procureur, qui ajouterait que l’on n’a pas à discuter les décisions de justice. Et en attendant, il parade, le procureur, savourant sa victoire unanimement reconnue. Le mensuel Men’s health, le journal des hommes qui en ont, l’a sacré « Mister Courage 2005 » et lui consacre une longue interview dithyrambique. Face à tant d’éloges, Montgolfier la joue modeste, affirmant notamment, non sans un soupçon de condescendance : « Soit je suis trop humble, soit il est facile d’être un géant dans un monde de nains », ou bien : « Je n’ai pas été un procureur courageux, j’ai juste fait ce que je devais faire », ou encore : « Je ne collectionne pas les scalps ». Trop de modestie tue la modestie.

Gilles Mortreux

(1) Sébastien Fontenelle, Un juge au-dessus des lois, éditions Privé, 2005. (2) Les francs maçons affairistes ont fait l’objet d’un précédent ouvrage de S. Fontenelle, Des frères et des affaires, Denoël, 2002. Par ailleurs, Sébastien Fontenelle est poursuivi en diffamation par Christian Estrosi, qui l’accuse d’avoir évoqué l’affaire du golf de Nice pour laquelle un non-lieu, confirmé en appel, avait été rendu par le juge Renard justement, dans un précédent ouvrage, La baie des requins, dont Le Ravi s’était fait l’écho. Verdict le 10 mars.

Imprimer