La capitale du citron presse aussi ses employés

avril 2005

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« Mais qu’est-ce que c’est que cette mairie, c’est pire que la Russie » : la phrase aurait été prononcée en 1998 par Maurice Berger, président de la cour administrative d’appel de Marseille qui se penchait ce jour-là sur le cas d’une employée de la mairie de Menton en butte à ses employeurs. La Russie, peut-être pas, même si un certain nombre d’employés de la mairie de Menton affirment être victimes de harcèlement moral. Le code du travail définit ce harcèlement comme « une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel. » Entrent dans cette catégorie toutes les actions visant à disqualifier le salarié, à le dégrader, le brimer, à ne pas respecter ses droits, à le diffamer ou à porter atteinte à sa vie privée. A des degrés divers, ces fonctionnaires mentonnais affirment avoir subi, ou subir encore, brimades, suppression inopinée des primes, calomnies, expertises psychiatriques intempestives, etc. Comme dans les nombreux cas de harcèlement moral traités par les tribunaux, ils se sentent étouffés, perdent confiance et entrent dans un état dépressif plus ou moins graves avec parfois des répercutions somatiques.

Exemples à l’appel

Le cas de Danielle Vassallo est emblématique. Employée de mairie depuis 1964, elle était déjà en butte à l’ancien maire, tant et si bien que l’expert psychiatre qui l’examina en 2000, sur requête de la mairie, se demanda s’il n’était pas face à une forme de paranoïa et de délire de persécution, avant d’affirmer qu’il n’en était rien. Dans le cadre ou en marge de son service, Mme Vassallo sera victime de trois accidents, dont deux sous la mandature du maire actuel Jean-Claude Guibal. Elle devra chaque fois avoir recours aux tribunaux pour les faire reconnaître comme des accidents du travail ; en attendant, les primes auxquelles elle avait droit seront suspendues et son salaire largement amputé, la plongeant même dans le surendettement. Dans le même temps, Mme Vassallo, qui avait pourtant fait campagne pour Jean-Claude Guibal lorsqu’il conquit la mairie en 1989, se verra offrir un poste à la mesure de l’amour qu’on lui porte, dans les toilettes publiques nauséabondes de la vieille ville. La liste des brimades qu’elle a subies est sans fin. Ultime affront, le 11 janvier dernier, le maire a refusé publiquement de lui décerner la médaille d’or du travail accordée par le préfet. Aujourd’hui, Danielle Vassallo est à la retraire et bénéficie d’un taux d’invalidité de 30%, suite à ses trois accidents du travail. Pourtant, la mairie rechigne toujours à lui verser les sommes qu’elle lui doit.

Le Ravi (n° 7) a déjà évoqué le cas de Michel Allegri, accusé de vol et d’abus de biens sociaux en juillet 2001. Sur des présomptions bien minces, il avait été suspendu de ses fonctions au centre technique et une plainte avait été déposée contre lui, qui fut par la suite classée sans suite. Rancunier, M. Allegri avait à son tour porté plainte contre X pour dénonciation calomnieuse et harcèlement moral, plainte qui devrait prochainement être jointe à une autre, similaire, déposée par un collègue d’Allegri. Mais entre temps, un lymphome malin s’est déclaré, dont une chimiothérapie efficace est heureusement venue à bout. En revanche, la chimie ne peut pas grand-chose contre l’état dépressif dans lequel se trouve depuis M. Allegri. Aujourd’hui, il affirme devoir encore se battre pour retrouver la totalité de son régime indemnitaire et pour obtenir les documents administratifs que la mairie renâcle à lui fournir. Pourtant, en avril 2004, la commission de réforme a reconnu que sa maladie avait été contractée par le fait du service.

Autre cas, celui d’Eve Morjon, embauchée en 1984 en tant qu’agent d’entretien. En 1989, elle est affectée au cabinet du nouveau maire qu’elle a soutenu pendant sa campagne. Là, elle se spécialise en toute sorte de choses : nettoyage des bureaux, tri du courrier, téléphone, revue de presse, classement, couture, etc. Elle affirme même faire les courses personnelles de M. le maire et de sa première adjointe. Dans le même temps, elle effectue plusieurs formations et prépare les concours d’agent administratif qu’elle n’aura pas à passer, suite à une modification de la loi. Pour son plus grand malheur, sa promotion dépend maintenant du maire. En 1996, et alors qu’elle est affectée à la bibliothèque municipale, elle sollicite donc du maire de Menton son intégration en tant qu’agent administratif, se targuant notamment de ses excellentes notations et de sa formation au concours. Non seulement elle essuie un refus, mais elle apprend en outre qu’elle va prochainement redevenir agent d’entretien, ce qu’elle refuse catégoriquement. Ne pouvant s’expliquer ce refus incompréhensible, le secrétaire général de la mairie l’enjoint de se soumettre à une expertise psychiatrique. Empreint de bon sens, le psychiatre va conclure que le conflit entre Mme Morjon et son employeur « ne peut être réglé par une expertise médicale ». Depuis 2003, Mme Morjon est en retraite invalidité.

Travail à risques

Les employés de base de la mairie de Menton ne sont pas les seules victimes de ces pratiques. Après une courte lune de miel, nombre de cadres préfèrent aller voir sous d’autres cieux si l’air est plus pur, quand ils n’y sont pas très fortement incités. Dernièrement, le directeur de cabinet, le directeur général des services et un ancien fonctionnaire de la DDCCRF qui avait cru trouver refuge à Menton, ont ainsi mis les bouts, dans des conditions pas toujours sereines. Il en est ainsi de ce haut fonctionnaire, qui a préféré garder l’anonymat, et qui, affirme-t-il, fut du jour au lendemain accusé d’avoir détourné des fonds et de s’être livré à des orgies sexuelles avec deux secrétaires du service courrier. Pour autant, il n’a fait l’objet d’aucune plainte… L’une des secrétaires fut par la suite affectée aux toilettes du Palais de l’Europe et est aujourd’hui en arrêt maladie pour dépression.

A la CGT, la représentante du personnel refuse de s’alarmer et affirme n’avoir été saisie d’aucune plainte pour harcèlement moral. Elle préfère parler de cas particuliers et de « maladresses » de la part d’une administration municipale mal conseillée. M. Rochereau, nouveau directeur général des services, reconnaît qu’ « il y a sans doute des progrès à faire dans la gestion du personnel ». Quant aux cas mentionnés ci-dessus, il trouve Mme Vassallo « extrêmement procédurière », pense que M. Allegri, en portant plainte, va « relancer inutilement cette affaire », n’a jamais entendu parler de détournement de fonds ou d’orgies sexuelles à propos de cet ancien cadre de la mairie, et ne considère pas qu’être muté comme dame-pipi, après s’être vu confier le courrier, puisse être interprété comme une sanction.

Néanmoins, eu égard aux nombreuses maladies imputables aux services mentionnées ci-dessus, et reconnues par les commissions compétentes, il conviendrait peut-être de classer le travail en mairie de Menton comme « travail à risque »…

Gilles Mortreux

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