le Ravi crèche à Avignon

novembre 2008

La glorieuse cité des papes est traversée par une fracture géographique et sociale. L’intra muros muséifié côtoie la ville moderne paupérisée. Et ce n’est pas du théâtre !

Face aux remparts

Un visiteur pressé ne retient d’Avignon, glorieuse cité des papes où se déroule chaque été l’un des plus grands festivals de théâtre au monde, qu’un décor en trompe-l’?il. Intra-muros, dans les limites dessinées par les remparts, la ville offre aux touristes et aux festivaliers les charmes d’un musée à ciel ouvert avec ses monuments classés au patrimoine de l’humanité. Sur les 90 800 habitants, seuls 13 000 y vivent. Extra-muros, le chef-lieu du Vaucluse offre un tout autre aspect. L’urbanisme y est anarchique, la voiture règne sans rivale, les grands ensembles et les quartiers défavorisés y côtoient un autre rempart qui encercle la ville : celui formé par les hypermarchés et leurs zones commerciales, une des plus forte concentration en Europe. « In, off, il y a toujours à Avignon un intra et un extra, un dedans et un dehors, déplore André Castelli, conseiller général PCF. Cette ville vit encore au rythme de la papauté. Elle est traversée par une fracture. Au fil des ans, rien n’a été réglé. »

Chômage, minima sociaux, taux d’imposition, logements sociaux : tous les indicateurs de dénuement sont au rouge. « Contrairement à ce que l’on croit, à cause de sa forte image culturelle, Avignon est une ville pauvre, avec par conséquent des ressources fiscales faibles, affirme Alain Dufau, sénateur, rival à droite de Mme le maire pourtant étiquetée UMP comme lui. Le pire, c’est qu’au lieu d’optimiser ses atouts, la ville se paupérise. L’arrivée de la gare TGV aurait pu être une chance par exemple. Rien n’y fait. » Les nuages s’accumulent sur le début du troisième mandat de Marie-Josée Roig. Cet été, Air France a supprimé la ligne Paris-Avignon jugée pas assez rentable. L’Olrap, l’Orchestre lyrique de région Avignon-Provence, domicilié à l’opéra-théâtre place de l’Horloge, a frôlé de peu la liquidation judiciaire. L’ancienne prison Sainte-Anne, au pied du Palais des Papes, mise en vente par l’Etat sur internet pour devenir un hôtel de luxe, ne trouve pas preneur.

Divisée, l’opposition de gauche se retrouve pour fustiger le « déclin » d’Avignon. « Montpellier, Nîmes nous ont dépassé, déplore Michèle Fournier-Armand, conseillère générale PS. Même Arles est sur le point d’y arriver. Avignon dépérit inexorablement. En particulier, il n’y a jamais eu une telle crise du logement. » Marie-Josée Roig argue que la ville concentre 70 % des logements sociaux du bassin de vie et que 32 % des résidences principales de la commune sont déjà des HLM (lire, page 14, notre entretien avec le maire). La réhabilitation des quartiers s’est souvent traduite par la destruction de bâtiments, comme à Champfleury, la Croix des Oiseaux, la Rocade et Monclar. Mais ensuite ? « Nous sommes témoins de la destruction du parc locatif social alors que dans notre ville 7 000 dossiers sont en attente. En même temps, des programmes privés immobiliers sont développés sur des terrains municipaux », condamne Daniel Landau, du collectif contre les inégalités et les exclusions. Ce dernier sillonne les quartiers avec sa « caravane du logement social » pour établir un cahier des doléances des habitants.

« Acheter dans cette ville est devenu impossible et louer est un vrai problème, proteste Jacques Fortin, qui conduisait une liste de la LCR aux dernières municipales. On a détruit des immeubles de qualité qui étaient dégradés, faute d’entretien, pour construire des résidences fermées destinées à un tout autre public. » La fracture géographique et sociale qui partage Avignon est aussi écologique. « Il y a un véritable déficit de verdure. Plus on s’éloigne du centre, plus les bagnoles et le béton dominent. Avec les entrées de ville, plombées par les panneaux publicitaires, on tombe dans la caricature », décrit le militant Vert Jean-Luc Fauche, président de la Maison alternative et solidaire. Pas sûr que la construction de la « Léo », la liaison routière Est-Ouest, facilite un rééquilibrage en faveur des transports en commun ! Les travaux de construction de la rocade se poursuivent au ralenti sans que l’on sache comment et quand ils seront terminés. Faute d’argent.

Car la cité des papes est endettée. Marie-Josée Roig a reçu ce cadeau en héritage d’une municipalité PS lors de son élection en 1995. La ville avait alors été placée sous tutelle durant trois ans. « L’amplitude de la dette a été incontestablement réduite, affirme Alain Dufau. Mais on est encore à flux tendu. L’agglomération s’endette à son tour pour masquer la situation économique d’Avignon. » La crise internationale fait planer un malaise sur la nature et la solidité du montage financier que la mairie et la communauté d’agglomération ont pu utiliser. « Comment sont montés les emprunts réalisés au cours des dix dernières années, sous quelle garantie ? Mystère ! », s’interroge André Castelli. Comment l’agglomération d’Avignon va-t-elle pouvoir payer la grande salle de spectacle de 2 000 places que Marie-Josée Roig veut bâtir sur l’Ile Piot au milieu du Rhône à l’image, selon ses termes, « de l’opéra de Sydney » ? Mystère là encore…

Abdel Zahiri, de l’association AJCREV (Alliance de la jeunesse contre le racisme, l’exclusion et la violence) basée dans le quartier de la Rocade, se sent très loin des grands projets de Mme le maire. Pour lui qui se présente comme le « représentant de la France de la cave, ignorée par la France du grenier », Avignon n’a qu’un visage malgré ses remparts historiques. « Honnêtement, la petite ville bourgeoise, on n’a jamais connu. Pendant le festival, on vient parfois s’y promener. Cela permet aux mecs de sortir du quartier, de brancher les filles. Il y a du monde, des gens qui font leur numéro. Et puis c’est tout. Le « In », c’est pas pour nous. » A la fin des années 40, un autre mec s’est aventuré entre les murs de la vieille citée. Il pensait que le poète a toujours le dernier mot : « Il s’agit de faire société, après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre. » L’utopie de Jean Vilar est toujours d’une pressante actualité. Michel Gairaud

Au sommaire

Page 10

Culture In, off, out ?

Lieu La Fabrik d’utopies

Coga Agglomération d’intérêts particuliers

Page 11

Prostitution Les demoiselles d’Avignon

Bataille de l’eau
Un réseau collectif très efficace

Hypermarchés Un rempart de zones commerciales

Pages 12et 13

Reportage dessiné « Le mur de Berlin est tombé, le mur d’Avignon tient encore »

Page 14

Entretien avec Marie-Josée Roig « Qui fait mieux ? »

Portrait croisé Mme le maire

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