Les eaux troubles de la station d’épuration

septembre 2004
En 2000, l'exploitation de la station d'épuration des eaux usées de Nice était confiée à Degrémont. A l'époque, certains membres de la commission d'appel d'offre avaient émis de sérieux doutes quant aux conditions dans lesquelles fut passé ce marché. Quatre ans après, le Parquet ne devrait pas tarder à rendre ses réquisitions définitives. Comme quoi, tout vient à point...

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Une nouvelle affaire de marché public pourrait prochainement empuantir un peu plus l’ambiance, déjà délétère, à la mairie de Nice. Pas si nouvelle que ça d’ailleurs, puisqu’elle date de 2000, à une époque où Michel Vialatte, ancien directeur général des services récemment condamné pour avoir truqué des marchés publics, n’officiait pas encore à la mairie de Nice. Le marché en question concerne le renouvellement en octobre 2000 de la concession d’Haliotis, la performante station d’épuration de la ville de Nice. La société Degrémont, filiale de la Lyonnaise des eaux et qui exploitait déjà la station depuis sa création en 1988, avait alors été reconduite dans ses fonctions, contre l’avis de certains membres de la commission d’appel d’offre. Les soupçons étaient suffisamment sérieux pour que le procureur de Nice ouvre une information judiciaire contre X. L’instruction est terminée et on n’attend plus que les réquisitions définitives du parquet.

Il n’est pire Sourd…

La désignation de Degrémont n’avait pas fait l’unanimité, loin s’en faut, au sein de la commission d’appel d’offre. Jean Icart, conseiller municipal divers droite, n’avait pas pris part au vote, arguant n’avoir reçu que le matin même l’analyse des services techniques de la mairie, et précisant que de toute façon, on ne lui avait pas demandé son avis. En revanche, Max Cavaglione, conseiller municipal divers gauche, s’était clairement opposé à la reconduction de Degrémont, affirmant même qu’il n’y avait pas eu véritablement de vote. Mais le plus sévère fut M. Sourd, qui représentait la Direction départementale de la consommation, la concurrence et la répression des fraudes (DDCCRF) et dont l’avis n’était que consultatif. Sur le procès-verbal d’ouverture des offres, M. Sourd écrit en effet que « L’offre de la société Degrémont est manifestement sous-évaluée pour apparaître comme la moins disante. Certains postes importants (informatique par exemple) ou de nature fiscale (taxe professionnelle) ne sont pas renseignés ni comptabilisés dans la proposition de la société Degrémont. » M. Sourd met principalement en cause le rapport des services techniques et promet alors de transmettre l’intégralité de ses remarques désobligeantes au préfet.

Souffler n’est pas jouer

Pour MM. Icart, Cavaglione et Sourd en effet, le rapport des services techniques induisait les membres de la CAO à considérer l’offre de Degrémont comme la plus intéressante pour la ville. Or, d’après eux, le dossier présenté par cette filiale de la Lyonnaise des eaux présentait un certain nombre d’irrégularités quant au code des marchés publics et d’erreurs comptables, erreurs et irrégularités que le rapport des services techniques passe sous silence, quand il ne les corrige pas gracieusement. Pour Max Cavaglione, il y a là distorsion de concurrence en défaveur la société Saur, filiale de Bouygues, qui à ses yeux aurait dû être préférée à Degrémont. Une enquête de police sera diligentée et un chef de service de la Ville sera mis en garde à vue.

Mais M. de Rocca Serra, qui présidait la CAO, balaie ces accusations d’un revers de main et contre attaque. Interrogé par Le Ravi, il se dit « étonné des connaissances étonnantes de M. Sourd concernant ce domaine ». « J’avais l’impression que MM. Sourd et Cavaglione se sont fait souffler leurs arguments, explique-t-il. Or, dans les jours qui ont précédés (la réunion de la CAO), j’avais été sollicité par une des sociétés candidates, que j’avais refusé de recevoir. Il apparaît que d’autres que moi les avaient reçus, notamment M. Cavaglione. » Interrogé à son tour, M. Cavaglione nie farouchement les faits : « je n’ai jamais rencontré aucun représentant de Saur ou de la Générale des eaux (qui concourrait également). En revanche, j’ai bien déjeuné avec le directeur d’Haliotis, mais c’est moi qui ai réglé l’addition », tient-il à préciser. Et M. Cavaglione d’affubler M. de Rocca Serra d’un nom d’oiseau que la décence nous empêche de reproduire ici.

Depuis, le dossier a semblé s’enliser. Le policier qui avait mené l’enquête a été muté sous d’autres cieux ; quant à M. Sourd, il a subi les critiques du sénateur-maire de Nice Jacques Peyrat, qui est allé jusqu’à demander sa tête au ministre de l’Economie, lors d’une question écrite au Sénat (lire Le Ravi du mois dernier). Finalement, il a lui aussi été muté, et ne veut plus entendre parler de Nice. « Le parquet n’a pas l’habitude de s’endormir sur les dossiers », nous rassure pourtant le substitut du procureur en charge de cette affaire. M. Cavaglione est beaucoup moins optimiste, puisqu’il n’y a, jusqu’à présent, aucune mise en examen.

Gilles Mortreux

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