Quand la centrale du Tricastin irradie… au quotidien

août 2011
Comment vit-on tout contre le complexe nucléaire du Tricastin, à l’ombre de sa vieille centrale, de ses atomes et de ses euros ? Reportage entre Bollène, Pierrelatte et Saint-Paul-Trois-Châteaux.

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La chaleur est étouffante sous les 8 000 m2 de serres, où se mêlent alligators, caïmans et plantes tropicales. À proximité de la Ferme aux crocodiles de Pierrelatte, deux imposantes cheminées crachent un épais nuage blanc. Le site nucléaire du Tricastin, le plus vieux du pays, juste après celui de Fessenheim, est à deux pas. Un curieux partenariat noué avec Areva, leader mondial du nucléaire, le rappelle tous les jours : les bâtiments sont chauffés grâce au surplus d’eau de la centrale. « Cela nous permet de faire d’importantes économies et obéit, en outre, à une certaine logique environnementale : cette eau chaude n’est pas directement déversée dans le Rhône, explique Candy Rigal, assistante communication. Nous avons des consignes de confinement en cas d’accident et nous procédons tous les deux mois à des exercices. Mais on se demande parfois à quoi ça peut servir… Si ça pète, qu’on soit ici où ailleurs, c’est pareil ! »

« Les cachets d’iode, c’est du pipi de chat »

Depuis la série d’incidents de 2008 (fuites radioactives, etc.) et la catastrophe de Fukushima, les langues se délient un peu. « Ça fait peur, les cachets d’iode, c’est du pipi de chat, avoue Cyril Jean, patron d’une brasserie sur la classieuse place de l’Hôtel de ville de Bollène. On ne nous informe pas, on ne comprend rien à cette technologie et EDF peut bien nous dire ce qui l’arrange. » Une pharmacienne confirme qu’après Fukushima, son officine a été assaillie pendant quinze jours par des personnes à la recherche de pastilles d’iodes. Mais à Bollène, les avis sont partagés. Une passante BCBG jure ne plus penser au risque depuis bien longtemps. « L’argent de la centrale a permis l’installation de caméras de vidéosurveillance », se réjouit-elle. Serge Fiori, militant communiste de toujours, s’interroge sur les transformations sociologiques apportées par la centrale : « Bollène est historiquement très ouvrière. La population a doublé depuis les années 70 (1). Certains se sont enrichis, des commerçants en particulier. Il existe un problème d’identité énorme et Marie-Claude Bompard (affiliée au groupuscule d’extrême droite Ligue du sud, NDLR) a joué sur cette division pour se faire élire maire. »

Le Tricastin n’est pas une image très « vendeuse ». En 2010, les vignerons relevant de l’AOC « Coteaux du Tricastin » ont obtenu un changement de nom exceptionnel, ne supportant plus d’être associés à la centrale. Non loin de cette dernière, se trouve la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux avec ses ronds-points impeccables, ornés de fleurs et de statues en osier, son centre-ville pavé et ses ruelles qui respirent le Sud. C’est aussi trois gymnases, un centre de loisirs avec spa et hammam, un musée d’archéologie… le tout pour 9 000 habitants. Rares sont les municipalités aussi richement dotées. Et pour cause ! Elle touche chaque année 12 millions d’euros d’impôts sur les sociétés, dont environ 10 proviennent du nucléaire.

Jean-Michel Catelinois, maire PS et ancien salarié du nucléaire, ne se sent pas vendu pour autant au lobby de l’atome. « Nous sommes simplement tributaires d’une industrie comme peut l’être Sochaux avec PSA », explique-t-il, laconique. Il cherche à diversifier le tissu économique de son territoire même si certains terrains ne peuvent être utilisés pour des raisons de sécurité liées à la centrale… Ici, environ 70 % des actifs œuvrent pour le complexe du Tricastin. Une brochette de papys, chemises à moitié ouvertes, espadrilles et teint hâlé, avachis sur un banc à l’ombre d’un arbre, débattent : « Je t’y mettrais une bombe, moi, si je pouvais. C’est comme les politiques, c’est tous des menteurs, on ne sait rien de ce qui se passe exactement », s’exclame François. Son comparse, Guy, lui répond : « Mais non, ici, c’est pas comme au Japon, ce ne sont pas les mêmes procédés, c’est plus sûr… » Bruno, employé municipal exhibant une balayeuse dernier cri, est philosophe : « Il n’y a jamais de risque zéro. Mon père est parti un jour aux champignons, il n’est jamais revenu… » Un champignon atomique ?

Clément Chassot

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