Transports : un train de retard

mars 2007
Impossible de rejoindre Draguignan par le rail. Un collectif se bat pour la réouverture d'une ligne ferroviaire. Principal obstacle : l'inertie des élus.

L’histoire remonte au 19ème siècle. Alors prospère préfecture, Draguignan refuse en 1860 le passage d’une grande ligne de chemin de fer, symbole d’une modernité à laquelle l’élite de la ville n’est pas préparée. Le désamour avec le rail se confirme lorsqu’en 1976, le dernier train entre dans la petite gare qui desservait le centre de Draguignan. Depuis, l’intrépide voyageur qui veut se rendre par le rail à la sous-préfecture doit poser ses bagages aux Arcs-sur-Argens et patienter pour prendre un bus afin de parcourir les 12 derniers kilomètres. Une histoire ancienne ? Pas si sûr. Le 1er décembre 2005, Michel Croc, le directeur régional de Réseau Ferré de France (RFF) expédie une lettre aux présidents de la Région, du Conseil général et de la Communauté d’agglomération dracénoise (CAD). Son objet ? « La ligne ferroviaire reliant Draguignan aux Arcs ». train.jpg Le directeur de RFF dresse des constats. La pression démographique en Dracénie « entraîne un très fort accroissement de la demande de transports pour laquelle il paraît de plus en plus assuré que la réponse ne pourra pas être seulement routière ». Les déplacements domicile /travail, actuellement réalisés en voiture, depuis Draguignan vers une gare de la région s’élèvent à 9000 voyages par jour. De plus, la construction d’une gare TGV aux Arcs-le Muy, dans le cadre du projet de la Ligne à grande vitesse (LGV) en Paca, rend possible « l’hypothèse d’une relation directe en TGV depuis Paris jusqu’au centre de Draguignan ». La situation est la suivante : la ligne de 12,5 km est exploitée sur 5 km ; jusqu’à la Motte Sainte Roseline, pour des besoins militaires, « au-delà elle est déferrée, mais l’emprise est toujours propriété de RFF ». Et Michel Croc de questionner les élus : « quelle est votre position stratégique vis-à-vis de cette ligne ? »

Première surprise : « Jusqu’en avril 2006, où nous avons découvert ce courrier, la lettre est restée cachée, explique René Defurne, président de l’Association des usagers de la gare Les Arcs-Draguignan (AUGAG). Pour empêcher l’irréversible, c’est-à-dire la session de l’emprise, nous avons décidé de rendre cette lettre publique. » Deuxième surprise : la première réaction de Max Piselli nous ramène tout droit au 19ème siècle. Loin d’être enthousiasmé par la proposition de RFF, le président de la CAD se tord de rire dans les colonnes de Var Matin (mai 2006) : « Avec le TGV, on fera venir aussi la mer à Draguignan… C’est n’importe quoi ! ». Le maire de Trans, Jacques Lecointe, surenchérit : « C’est un rêve ou un cauchemar fait par un directeur qui ne connaît pas le terrain. » Affaire classée jusqu’au 22ème siècle ? Pas si sûr. Car, troisième surprise, toujours sans débat, Max Piselli s’aligne sur la position du Conseil régional et du Conseil général. Il répond à RFF, qu’en définitive, il préserve l’emprise donc la possibilité d’une réouverture.

Depuis, la mobilisation des partisans du rail s’accentue. Fin février, l’association pour la réouverture de la ligne ferroviaire Les Arcs-Draguignan (Arlifad) a vu le jour : les usagers de la gare y figurent auprès d’autres associations (Voyageurs du moyen Var…), de syndicats (CGT…) et de partis politiques (Avenir de Draguignan, PCF, Verts…). « Le train est inscrit dans la mémoire collective, explique Robert Caire, militant communiste à l’initiative du rassemblement. La saturation du trafic routier est évidente et inquiétante, avec les problèmes de pollution, d’engorgement. Notre démarche, non-politicienne, est très bien reçue. » Ce que confirme le président des usagers : « 300 000 voyageurs passent dans la gare des Arcs. Des milliers de Dracénois sont obligés de partir en voiture pour rejoindre Saint Raphaël, Cannes ou Toulon. S’ils avaient le choix, ils opteraient pour le train, avec le confort et le gain de temps qui vont avec ».

L’association programme une marche, dans la deuxième quinzaine de mai, tout au long de l’ancienne ligne pour lister les questions à résoudre. « Cela peut paraître curieux ou utopique de remonter ce que l’on a démonté, il y a trente ans, reconnaît René Meissonnier, le maire des Arcs. Mais toutes les villes qui choisissent à juste titre de s’équiper de tramways modernes font exactement la même chose. » Vice-président de la CAD, l’élu ne voit que des avantages dans une réouverture. « Il serait illogique de ne pas relier par le rail la future gare TGV à la ville centre de la communauté, poursuit-il. De même que l’emplacement du futur parc logistique des Bréguières a du sens en raison de la possibilité offerte d’un embranchement ferré. » Alors que le Conseil général reste muet comme une carpe, le Conseil régional affiche ouvertement son soutien à une réouverture.

« Le débat public sur la LGV a montré que le développement et la modernisation des TER est un préambule », souligne Gérard Piel, vice-président de la Région, chargé des transports. Et d’argumenter avec conviction en faveur du projet Les Arcs-Draguignan. Une partie des rails a été enlevée ? « De toute façon, il est toujours nécessaire de les changer ». Une nouvelle gare doit être construite à Draguignan puisque l’ancienne est encerclée de bâtiments ? « La SNCF dispose de gares neuves pas très chères, en modules ». Le contrat de projet Etat-Région 2007-2013 ne programme rien sur le sujet ? « La Région, la SNCF et RFF peuvent très bien initier des études. La réouverture de la liaison Cannes-Grasse prouve la rentabilité de ce type de projets. Les Arcs-Draguignan n’est pas un dossier très lourd. Son coût est inférieur à 70 millions d’euros, soit moitié moins qu’entre Cannes et Grasse ». Le Conseiller régional résume son sentiment : « que les usagers fassent basculer les élus locaux ! Cela permettra de débloquer beaucoup de choses. »

« Nous ne sommes pas dans le règne de l’utopie, veut croire également le maire des Arcs. En principe la position des élus se fait en fonction de ce que pense la majorité de leurs administrés. » Signe des temps, Max Piselli a envoyé un courrier, en février, pour s’excuser de ne pouvoir assister à la première assemblée générale de l’Arlifad, l’association pro-réouverture. « Il a indiqué qu’il déléguait René Meissonnier, son vice-président à la CAD, pour le représenter, se réjouit René Defurne. Après avoir polémiqué, le maire de Draguignan est donc en train de revoir sa position. » En « train » ?

Michel Gairaud

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