Jeuno-phobie versus senior-philie

mai 2012
59 % des électeurs de plus de 60 ans ont voté Sarkozy à la présidentielle. Autre chiffre : 64 % des électeurs de l'UMP sont favorables à une alliance avec le FN... Dans le Vaucluse (27 % Le Pen au 1er tour), les époux Bompard, Mr et Mme le maire d'extrême droite d'Orange et de Bollène, ont une vision peu commune de la politique sociale. La jeunesse désœuvrée des quartiers est opposée au troisième âge, beaucoup plus porteur électoralement. Ce qui ne fait qu’attiser les divisions dans les deux villes...

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« La maison de l’amitié, c’était le cœur du quartier, l’arbre de vie. On nous a tout enlevé. » La vérité sort de la bouche des enfants ? Ceux-là s’appellent Nordine, Mohamed et Kader, ils ont entre 10 et 11 ans et vivent tous dans le quartier de Bollène Ecluse, à deux jets de pierre de la centrale nucléaire du Tricastin. Ce qu’on leur a enlevé, c’est le seul centre social de la ville : une des premières décisions prise par Marie-Claude Bompard après son élection en 2008. « On allait faire nos devoirs quand on rentrait de l’école, on faisait plein d’activités. Maintenant on traîne dehors comme aujourd’hui et on fait parfois des bêtises », avoue Nordine, plein de maturité et de véhémence en ce mercredi après-midi. Pour lui, le plus triste, c’est d’avoir vu partir ailleurs, petit à petit, tous ses copains et leurs familles, excédées par la situation. Ce centre social, c’était aussi des cours de français pour les parents qui ne maîtrisent pas la langue, un outil d’intégration.

Yanis, 20 ans, cheveux noirs bien coiffés, survêt’ aux couleurs du Milan AC et tout de Nike chaussé, fait visiter le quartier. Ici, le stade de foot : « Officiellement, on n’a plus le droit d’y aller, ils ont tout grillagé, cadenassé. Avant il y avait un club mais depuis que les subventions ont été coupées, plus rien. » Plus loin, la traversée d’un lotissement délabré qu’on appelle le Moulard et propriété de la SEMIB (l’office HLM de la ville), fait froid dans le dos. Petites maisons abandonnées aux vitres cassées, certaines font office de dépotoir. D’autres sont encore habitées. Encore plus haut, la mosquée. La mairie a creusé une tranchée et installé des rochers devant un petit champ qui servait de parking. « On ne peut plus se garer maintenant, on est obligé de déposer sa voiture plus loin et de venir à pied. Ils veulent nous rendre fous mais on est plus intelligents qu’eux, on reste tranquilles, médite Yanis. Pareil, ils ont posé deux caméras de vidéosurveillance. On s’en fout, nous, on ne fait rien de mal mais on se sent observés. » Lui a un bac professionnel soudure. Mais ici « le travail se résume souvent à de l’intérim et comme j’aime la stabilité je pense à m’engager dans l’armée… »

« Ils veulent nous rendre fous… »

Si le centre social a disparu, le foyer des personnes âgées totalement financé par la mairie, juste à côté, a lui toujours portes ouvertes. Les thés dansants, chorales et autres lotos sont légions à Orange et Bollène. Une façon de soigner le cœur de cible électoral et d’entretenir les divisions entre les générations. « La politique de Jacques Bompard a été calquée à Bollène. On a l’impression d’être une banlieue d’Orange », enrage Serge Fiori, représentant du Front de gauche local. Car tout a bel et bien commencé à Orange. Au nord de la ville, dans la cité de l’Aygues, la jeunesse n’a pas plus de perspectives qu’à Bollène. « On subit ici la double peine, commente Brigitte Laouriga, présidente du seul centre social encore en activité à Orange et qu’elle a cofondé en 1983. On écope à la fois d’une politique nationale qui ne s’est pas assez engagée envers les quartiers mais aussi de celle de Bompard. Si, il y a bien le sport, mais le sport de compétition comme avec le club de volley. Rien pour le loisir, le vivre-ensemble. La jeunesse est invisible à Orange, elle dort le matin et vit la nuit. C’est désespérant. » Et alors que le centre ville est rénové avec soin, pas un coup de pioche n’a été donné dans le quartier. Une façon de ségréguer, stigmatiser une population indésirable en ville. « Du coup, on se tourne le dos », ajoute Brigitte Laouriga. Si ce centre social est encore ouvert, financé à hauteur de 12 000 € par la mairie et, en majeure partie, par le Conseil général, l’Etat et la Caisse d’allocations familiales, c’est pour que la ville puisse bénéficier du contrat enfance jeunesse de la CAF et ainsi investir dans les crèches…

Construite dans les années 70, la cité de l’Aygues, qui compte 5 000 habitants, est en décrépitude. Les façades rose triste virent au gris, certains appartements sont murés. Le responsable ici, c’est le bailleur social du département, Mistral Habitat, qui promet une rénovation des façades et des portes d’entrée dans les deux ans. En attendant, l’ensemble est bien désespérant. « L’Aygues, c’est Beyrouth », lâche un jeune du quartier voisin de Fourchevieilles. « Il n’y a rien pour les jeunes ici, confie Younès, 28 ans, gérant d’une petite épicerie. En centre ville, on n’y va pas. Après 20h, c’est mort. Et pour travailler, quand on est d’origine maghrébine, c’est même pas la peine. Alors, voilà, on attend. » Si les jeunes des quartiers périphériques s’ennuient, c’est le cas aussi des enfants issus des classes moins défavorisées. Une boulangère qui ramène ses enfants de l’école le confirme : « Je ne souhaite pas trop m’étendre mais oui, c’est difficile d’occuper les enfants. Aucune politique n’a été pensée pour eux. On les emmène au parc, ça se limite à ça. » Antoine, 65 ans, est pharmacien. Père d’un adolescent, il concède que ses distractions ne sont pas nombreuses : « Orange est une petite ville mais il y a beaucoup plus à faire dans des communes voisines comme Jonquières ou Vaison-la-Romaine. » Cela ne l’a pas empêché de voter Bompard même s’il ne se reconnaît pas dans les idées de l’extrême droite : « Un maire doit se battre pour sa ville. Et c’est ce qu’il a fait : des rues propres et belles, sans augmentation d’impôts. Il fallait voir comment c’était avant lui ! » Ce que tout le monde à Orange reconnaît. Une gestion financière saine, de beaux trottoirs devant le théâtre antique… au prix du social, de la vie associative et du vivre-ensemble. Un décor de saloon qui cache une bien pauvre réalité.

Clément Chassot

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