Tout le monde il est bio, tout le monde il est gentil ?
En entrée salade de maïs au NK603 (1), suivront des lasagnes au minerai de cheval de Roumanie et pour dessert un bon gâteau aux matières fécales de chez Ikea ou de la gelée royale d’abeilles nourries à la farine de soja… « On les entend déjà les bouffeurs de graine nous dire qu’ils nous avaient prévenus et que manger bien, c’est manger bio ! », balance Jean-Pierre, 54 ans, au détour d’un rayon de supermarché, un samedi après-midi.
La région Provence Alpes-Côte d’Azur fait figure de très bonne élève puisque l’agriculture biologique représente 13,3 % de la Surface agricole utile (SAU) alors que la moyenne est seulement de 3,6 % au niveau national, loin d’atteindre les 6% espérés par le Grenelle de l’environnement pour 2012. Les surfaces certifiées sont passées de 52 000 hectares en 2008 à 81 000 ha en 2011 en Paca. Les Bouches-du-Rhône, Le Vaucluse et Les Alpes de Haute-Provence regroupent 70 % des surfaces agricoles bio de la région et sont classés parmi les 10 premiers départements français en SAU bio grâce, notamment à la viticulture mais aussi à l’élevage de brebis. « C’est beaucoup plus facile de faire de l’agriculture biologique en région méditerranéenne sèche qu’en région océanique humide tout simplement pour des questions de parasitisme, précise Claude Balmelle. Un viticulteur provençal sera plus aisément certifié qu’un viticulteur bordelais. » Chef de service à la DRAAF Paca (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) , il a travaillé sur le plan Ambition Bio 2017, qui sera dévoilé en juin prochain par le ministre de l’agriculture Stéphane le Foll.
C’est bon, c’est bio ?
Contrairement au Sud-Ouest, il ne semble pas y avoir en Paca de bio intensif à proprement parlé. « Mais encore faut-il définir ce que veut dire intensif ? Est-ce que c’est mal, est-ce que c’est bien ? Est-ce que c’est bio ?, s’interroge Anne Guittet, animatrice d’Agribio 84, association des agriculteurs bio du Vaucluse. Nous défendons toutes les exploitations à taille humaine. Mais l’autre jour je discutais avec un viticulteur qui a peu d’hectares mais qui pourtant produit beaucoup. Est-ce que ça c’est de l’intensif ? » L’association reste tout de même vigilante notamment concernant les OGM. Depuis 2009, la norme européenne s’est assouplie. Désormais un produit labellisé AB accepte la contamination par OGM à hauteur de 0,9 %, sans obligation de le signaler sur le produit. Par souci de transparence, Agribio a mis en place le label Biocohérence, 100 % bio, qui lui ne tolère aucun OGM.
L’intensif, on semble aller le chercher en dehors de nos frontières… Créée en 1987 par Henri de Pazzis (2), musicien parisien qui choisit, à l’époque, la Provence pour son « retour à la terre », la plate-forme ProNatura, installée à Cavaillon (84) est devenue en vingt ans le leader européen des fruits et légumes bio. Elle emploie 140 salariés et fournit Monoprix, Super U, Biocoop… Surtout, elle savoure ses 69 millions d’euros de chiffre d’affaires ! Les mangues bio du Pérou, c’est eux, les ananas bio du Togo c’est encore eux… Le bio hors saison toujours eux… Le journaliste indépendant Philippe Baqué a enquêté en 2011 sur la provenance des fraises bio d’Espagne que propose l’enseigne. Celles-ci sont produites dans la région de la Huelva par la société Bionest, qui fait du bio intensif et ne respecte, selon l’enquête, ni la biodiversité, ni la main-d’œuvre étrangère qu’elle précarise (3).
C’est local, c’est d’la balle !
« Le Bio c’est pas tout bien et le conventionnel, c’est pas tout mal », note Michel Isouard, président de l’ADEAR Paca (Agence pour le développement de l’emploi agricole et rural) proche de la Confédération paysanne, qui aide les nouveaux agriculteurs à s’installer. Pour lui se mettre en bio « c’est vraiment du cas par cas ». Il défend surtout les exploitations à taille humaine. Josué, viticulteur dans le Var a transmis depuis peu l’exploitation à son fils, Manuel, qui a totalement changé sa façon de cultiver la terre, sans engrais et sans désherbant. Pour autant il n’est pas en bio mais pratique simplement une viticulture raisonnée, différente de celle de son père jadis. « Etre viticulteur n’est pas si simple que ça, on a une récolte par an et il ne faut pas la rater, précise Josué . C’est un métier qui est fait d’angoisses permanentes. Tout nous empêche de dormir, le gel, la grêle, le mildiou… Alors se faire traiter d’empoisonneur parce qu’on utilise des engrais c’est très dur à vivre. Notre vin se mélange à du vin conventionnel à la coopérative, mais on ne juge personne car être agriculteur c’est aussi être libre de ses choix. »
Pour Claude Balmelle les expérimentations du bio « ont permis de faire évoluer les pratiques conventionnelles dans le bon sens et on peut faire de la malbouffe avec du bio mal transformé tout comme on peut très bien manger avec des produits en circuit court conventionnels. » Pour Mireille Peirano (PS), vice-présidente du conseil régional Paca en charge de l’agriculture, les habitudes sont à prendre dès le plus jeune âge, pour préparer les adultes de demain : « l’important c’est de redonner aux enfants l’habitude de manger des produits frais de saison, donc locaux et s’ils sont bio c’est encore mieux, mais on fait aussi de très bonnes choses en agriculture raisonnée. » La Seyne-sur-mer (83) a choisi quant à elle de remettre en culture les terres agricoles du Domaine de Fabregas. La commune va pouvoir non seulement fournir la cuisine municipale, qui nourrit pas moins de 5000 Seynois chaque jour, mais aussi proposer du local bio à ses habitants.
L’association Filière Paysanne, basée à Marseille, œuvre pour « la souveraineté alimentaire régionale ». En 2010, elle crée une première épicerie paysanne dans le quartier des Cinq Avenues (Marseille 1er) qui propose des produits bios ou conventionnels mais surtout des produits locaux. Deux autres projets similaires sont en cours ainsi qu’une plate-forme paysanne locale qui mettra en lien de nombreux acteurs marseillais que ce soient des producteurs, des épiciers ou des restaurants. « C’est sûr, consommer local permet de tracer plus facilement ce que l’on mange, mais développe surtout la souveraineté alimentaire à long terme sur notre territoire et sécurise notre approvisionnement, précise Jean-Christophe Robert président et fondateur de l’association. Faire passer tous les producteurs et les consommateurs en bio, c’est très difficile car il y a de nombreux freins économiques, techniques et culturels des deux côtés. » Et de conclure : « Ce qu’il faut, c’est faire évoluer l’ensemble de la société et de la filière pour pouvoir préserver une agriculture locale qui est en train de disparaître. »
Samantha Rouchard