« Le droit du travail ce n'est ni la Bible ni le Coran »

juin 2017 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Saïd Ahamada, député LREM au nord de Marseille, invité de la Grande Tchatche
13rv153traxsaiI_d_ahamada_400.jpg

Quel type de député serez-vous ?
Le rôle d’un député c’est de voter des lois. Mais dans la pratique, vous avez aussi un attachement local qu’il faut faire vivre en faisant remonter les spécificités et les besoins de son territoire.

La très forte abstention ne délégitime-t-elle pas en partie votre victoire et celle des « marcheurs » ?
L’abstention n’est pas un vote anti-Macron. Elle sanctionne surtout l’inefficacité des partis qui ont dirigé jusqu’ici le pays. On ne peut pas reprocher à LREM, qui n’existe que depuis un an, de n’avoir pas assez mobilisé de votants. Nous sommes entre deux systèmes, un qui finit et un autre qui démarre. Les abstentionnistes nous disent « attendons de voir. On n’y croit pas encore mais on a envie d’y croire ».

Y aura-t-il parfois des frondeurs dans vos rangs ?
C’est bizarre cette manière de concevoir la politique : soit on est toujours d’accord, soit on fronde. Il est possible de faire vivre son désaccord au sein d’une majorité, de donner son avis, d’essayer de convaincre. Après, si vous êtes seul face à 290 autres parlementaires de votre groupe, et bien vous vous pliez à la majorité. C’est ça la démocratie ! Mais clairement, oui, il y a un devoir de loyauté avec le gouvernement ce qui ne veut pas dire d’obéissance.

Vous pourriez donc parfois être « insoumis » ?
Si ça va contre mes valeurs, carrément. Dans l’hypothèse où le président proposerait à nouveau la déchéance de nationalité, je voterais contre. Soyons clairs, LREM n’est pas une secte. Vous avez des gens qui sont loin d’être naïfs, des personnes qui ont une vraie expérience professionnelle, une vraie expertise. Mais évidemment, il y aura une phase d’adaptation comme quand vous démarrez un nouveau boulot où il faut apprendre les codes. J’aimerais qu’on pratique la politique avec un grand P. Jusqu’à présent, on n’avait que des tambouilles politiciennes, y compris à l’Assemblée.

Vous allez autoriser le gouvernement à procéder par ordonnances pour réformer le code du travail. Pourquoi dessaisir d’emblée le parlement ?
La seule et unique raison pour laquelle le président Emmanuel Macron a souhaité passer par les ordonnances, c’est d’aller plus vite. Parce que si on restait sur le circuit classique des assemblées parlementaires, on ne sortait pas un projet de loi avant mars 2018. Et après la loi d’habilitation, une loi de ratification permettra aux parlementaires d’examiner les décisions prises voire, au besoin, de les annuler. Donc c’est le parlement qui garde la main du début à la fin.

C’est une bonne idée de plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement ?
C’est une très bonne chose. Quand vous êtes chef d’entreprise, vous avez besoin de sécurité juridique. Il faut q  ue vous puissiez envisager tous les cas de figure possibles. Celui où ça se passe très bien. Celui où la période d’essai s’arrête. Celui où un salarié va aux prud’hommes. Un bon gestionnaire doit envisager tous les cas. Il faut pouvoir provisionner et pour cela avoir une idée claire du montant sur lequel vous pouvez être engagé.

Une flexibilité généralisée ne va-t-elle pas précariser un peu plus encore les travailleurs ?
J’ai connu la création de l’auto-entrepreneuriat lorsque des lobbies disaient qu’on allait tout casser en France. Résultat : des gens testent leur activité comme auto-entrepreneurs et ensuite deviennent des artisans comme les autres. Donc arrêtons d’avoir peur. Testons des choses. Si ça ne marche pas, on s’arrêtera. Il faut sortir d’une situation où des trentenaires n’ont jamais travaillé de leur vie. Le droit du travail n’est plus adapté à la manière dont les entreprises fonctionnent aujourd’hui. Je regrette que les syndicalistes, que je respecte par ailleurs, considèrent que le droit du travail est immuable. Un peu comme si c’était la Bible ou le Coran.

La « France Start-up », ça parle aux habitants des quartiers populaires ?
Evidemment ! L’esprit d’innovation et l’envie de création d’entreprises dans ces quartiers sont énormes. Avec Sarkozy il y avait une seule bonne chose, le reste est à jeter : la valorisation de l’idée que si vous avez envie de bosser, vous allez réussir. Il faut libérer mais protéger. Ça c’est le slogan de Macron. On me parle souvent d’Uber qui aurait précarisé l’emploi. Sauf que c’était quoi l’alternative pour ces jeunes-là ? Continuer à être au chômage et à tenir les murs ? Ce n’est pas la panacée, ça ne doit pas être un objectif en soi, mais ça permet de mettre le pied à l’étrier pour toute une classe de la population…

Les quartiers nord marseillais sont victimes de la violence des trafics. Pourquoi vous opposer à la légalisation du cannabis ?
Casser le thermomètre ne résoudra rien. Si on légalise le cannabis, il y aura toujours un trafic d’autres substances. Par contre je suis pour la dépénalisation, c’est-à-dire non plus un délit mais une contravention. Ça fera rentrer des sous dans les caisses de l’Etat et permettra de désengorger les tribunaux. La base des trafics c’est aussi que trop de monde dans les quartiers ne se sent pas intégré à la population française. Ils n’ont pas d’autres alternatives parce qu’on ne leur en a pas données.

Marseille peut-elle en finir avec le clientélisme politique ?
On assiste à la fin d’un vrai système. Avant, vous aviez des affidés dans la plupart des partis qui ont dirigé cette ville, de gauche comme de droite : des personnes qui n’étaient pas là forcément pour leurs valeurs mais parce qu’elles avaient rendu des services et en retour avaient accès à certaines facilités en termes d’emplois, de logements… Cela reste ancré dans les esprits. Quand j’ai fait campagne, j’ai rencontré des responsables associatifs me disant : « voilà je vote pour toi, qu’est-ce que tu me donnes en échange ? » Si ça je ne l’ai pas entendu mille fois, je ne l’ai jamais entendu ! Je ne connais pas une seule personne de l’ancien système qui n’ait pas pratiqué le clientélisme.

Les députés LREM du nord et du sud de la ville vont-ils travailler ensemble ?
Il le faut ! Et nous le ferons car nous n’avons pas de problèmes d’ego, c’est l’un de nos points forts. Même si je sais qu’il y a des poches de précarité au sud de Marseille et que des choses se passent désormais mieux au nord, Marseille est toujours traversée par un véritable apartheid social. Cette fracture entre le nord et le sud a été pensée et voulue. Cela date de l’époque de Gaston Defferre et cela s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui : certains quartiers, parce qu’ils votent à gauche, ne sont pas encouragés par Jean-Claude Gaudin, parce qu’il est de droite… De fait, il y a une véritable ségrégation sociale. Dès que vous dépassez Bougainville, vous avez l’impression d’être dans une autre ville. Il va falloir tout remettre à plat pour qu’il n’y ait plus, au nord, des sous-Marseillais privés de l’accès aux services publics.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Valentin Pacaud