Portraits d'actrices et d'acteurs associatifs
« J’ai grandi avec la conviction que les anciens sont une valeur ajoutée »
« Je suis originaire du petit village d’Ighrem Amazdar, situé dans les montagnes du Haut Atlas, au Maroc, où tout le monde se connaît et où les personnes âgées vivent avec leurs enfants et ont une place importante dans la société. J’ai grandi avec ma grand-mère et avec la conviction que les anciens représentent la sagesse et l’amour inconditionnel, qu’ils sont une valeur ajoutée et non une charge. Ce sont ces valeurs-là qui m’ont construite. Je n’oublie pas tout cet héritage, pour moi c’est une richesse et j’en suis fière. Mon père a été recruté en 1977 au Maroc pour venir travailler dans les mines de la région. Il est resté un an à la mine avant d’être embauché à l’usine Peau douce et d’y faire sa carrière. Avec ma mère, nous sommes arrivées dans le cadre du regroupement familial, dans les années 90. J’avais alors six ans. Au lycée, j’ai passé un Bac ES puis des études de sociologie. J’ai travaillé ensuite en Ecole primaire, avant d’arrêter pour élever mes trois enfants. Quand mon aîné a eu six ans, j’ai ressenti le besoin d’apporter ma contribution à la société. Tout naturellement je me suis dirigée vers des études d’assistante sociale. Diplômée en 2018, j’ai d’abord travaillé avec un public jeune. Mais quand j’ai entendu parler du projet d’association autour des Chibanis, j’ai voulu y contribuer. J’ai rejoint la Coopérative en février dernier. »
Khadija Ouadjou, 37 ans, assistante sociale et salariée de la Coopérative Chibanis à Roubaix (59)
« J’ai réalisé que les pannes d’ascenseurs étaient une vraie souffrance »
« J’ai toujours eu une sensibilité sociale de par mon engagement bénévole aux Resto du cœur pendant sept ans, et mes années comme coordinatrice et directrice adjointe de Centre social. Mais j’ai grandi dans une maison et là je vis en immeuble avec un seul étage. J’avoue qu’au début, les ascenseurs, ce n’était pas un sujet qui me touchait. Quand Fouad Ben Ahmed, le fondateur du Collectif, avec qui je travaillais, me parlait de « ses » ascenseurs, je ne me sentais pas du tout concernée. A l’époque, ce n’était pas une problématique médiatisée et les habitants étaient résignés. Et puis, il m’a montré des vidéos, et m’a amenée sur place. Je me souviens d’une dame aveugle qui vivait dans un immeuble, avec un ascenseur en panne depuis six ans. Pour descendre elle devait se tenir à la rampe remplie de mollards et de chewing-gums, et elle manquait de tomber à chaque fois. J’ai vu une maman aussi qui devait porter sa fille malade de 20 kilos sur plusieurs étages, plusieurs fois par jour pour qu’elle puisse recevoir ses soins. J’ai réalisé que les pannes d’ascenseurs, c’était un vrai problème, une vraie souffrance pour ces gens. Avec mon collègue, Francisco Garcia, devenu président de l’association depuis, nous avons décidé de saisir cette cause à bras le corps. J’ai tout appris sur le tas, je ne savais rien sur le fonctionnement des bailleurs, et encore moins sur celui des ascenseurs, ni comment monter des conventions. Mais au fur à mesure, on a avancé sur tout ça. Je prends plaisir à ce que je fais pour l’association. C’est aussi une vraie découverte personnelle de compétences que je ne pensais pas avoir. »
Mélissa Nour, 42 ans, trésorière du Collectif Plus sans ascenseurs dans le 93
« Je me suis donné pour mission de mettre ma technique à disposition de ceux que l’on n’écoute pas »
« A la base, j’ai une formation d’acteur parce que j’aimais bien être sur scène. J’ai commencé à faire du social par recherche de sens. J’avais le sentiment d’avoir appris une technique qui permet de prendre la parole, alors que, justement, ce n’est pas donné à tout le monde de prendre la parole. Un acteur classique porte les mots de Molière ou Shakespeare sur scène. Pour moi, ces grands auteurs n’ont pas besoin d’aide pour faire entendre leurs voix aujourd’hui, il est plus intéressant, à mon sens, de se poser la question de qui n’a pas accès à l’écoute. Qui sont ceux que l’on ne regarde pas aujourd’hui ? Je me suis donné pour mission de mettre ma technique apprise à disposition de celles et ceux que l’on n’écoute pas, de donner à entendre ce qui est tu. Je travaille avec des familles Roms, des migrants, des publics de quartiers populaires et bientôt avec des sans-abri. Ces textes que je porte, je les signe Coëstre. Au Moyen-âge, le Coëstre était le porte-parole des gueux de la Cour des miracles, celui qui faisait entendre la voix du peuple. C’était un symbole de démocratie car il était élu par le peuple. Dans ce nom de scène, il y a la mémoire d’un habitant de la cité des Aviateurs, quartier Bois-blancs, vouée à être détruite et qui m’avait dit « La Cour des miracles, c’est partout où j’habiterai ! »
Boris Dymny, 37 ans, comédien et fondateur de DMT’ Di Mini Teatro à Lille (59)
« On devait se mobiliser »
« Nous sommes trois mamans à avoir créé Izards Attitude en octobre 2013. Au moment de la rénovation urbaine du quartier, notre immeuble était squatté, nos enfants étaient adolescents, ils commençaient à avoir des soucis à l’école et nous avions peur qu’ils tombent dans la délinquance. En bas d’immeuble, le CMPP (Centre médico-psycho-pédagogique) avait déserté suite au deal. Je me rendais à toutes les réunions de concertation pour me plaindre, et leur expliquer que ce n’était pas normal que notre insécurité passe au second plan de la rénovation. Il n’y avait pas de dialogue, nous n’avions pas l’impression d’être écoutés en tant qu’habitants. Le responsable du Centre d’animation nous a dit que le seul moyen de se faire entendre c’était de créer notre propre association. C’est ce que l’on a fait. Dans le quartier, il y avait beaucoup de mal être. On devait se mobiliser. On voulait utiliser ce bas d’immeuble resté vide pour y installer des temps d’accueil pensant que ça allait faire fuir le deal. Mais malheureusement, en décembre 2013, suite à une fusillade dans notre immeuble, un premier jeune est mort. Aujourd’hui, nous avons obtenu une mise à disposition de ce local. On propose un accueil quotidien réservé aux habitants. En 2020, on a mis en place l’accompagnement scolaire géré par les parents. Et depuis septembre, on a obtenu l’agrément CLAS (contrat local d’accompagnement scolaire) de la Caf. Avec l’aide de la Fondation Abbé Pierre, on a pu former des parents référents. Certains ne savent pas lire. On a eu peur qu’ils n’y arrivent pas mais au final ils gèrent comme des chefs ! »
Yamina Aïssa Abdi, cofondatrice des Izards Attitude à Toulouse (31).
« J’avais besoin que mon quartier existe »
« Je suis une ancienne habitante du quartier des Izards, j’ai toujours ma maman qui y vit et qui, à l’époque de la rénovation urbaine, a dû être relogée, suite à la destruction de son immeuble. C’est un quartier qui me tient à cœur. Je me suis investie dans l’association parce qu’il fallait faire quelque chose, par rapport à Yamina, à son engagement et ses valeurs que je partage. J’avais besoin que mon quartier change et existe. Parce qu’il a été laissé à l’abandon. »
Dalila Filalli, présidente des Izards Attitude à Toulouse (31)