Prendre soin des Cheveux gris
C’est dans un petit local, sans chauffage, de la Maison des associations de Roubaix (59) que Khadija Ouadjou nous accueille. C’est elle qui tient la permanence de la Coopérative Chibanis aujourd’hui. Assistante sociale de formation, elle est la seule salariée de cette jeune association créée en août 2020. Sur le mur du local sont épinglés des visages de chibanis, terme qui désigne en langue arabe ceux aux cheveux gris et d’origine immigrée arrivés en France durant les Trente Glorieuses, pour reconstruire le pays. « Roubaix s’est enrichie de son entreprise textile et a dû faire appel massivement à la main-d’œuvre étrangère, souligne Khadija Ouadjou. C’est une ville d’immigration par excellence. La présence de population venue du Maghreb, de Pologne, d’Italie ou d’Espagne fait partie de la construction et de l’identité même de la ville. C’est à la fois une richesse et un défi. »
Au départ, ces travailleurs n’étaient pas venus pour rester. Aujourd’hui, ce sont des personnes du troisième âge, qui vivent de leur maigre retraite, dans des conditions précaires. « On s’est aperçu que ces personnes étaient éloignées du droit commun, et qu’en plus des problèmes de dépendance et de perte d’autonomie, elles avaient des spécificités culturelles et de rapport au corps particulier mais aussi une barrière de la langue qui accentue l’éloignement des pouvoirs publics et des associations, poursuit Khadija. Le projet de coopérative est né de cette réflexion, porté par des bénévoles sensibilisés à cette thématique. » Même si le maillage associatif de Roubaix est important, les chibanis passaient pourtant au travers. « Il y avait une brèche, quelque chose qu’il fallait créer » , souligne la salariée.
« Il y avait une brèche »
La Coopérative n’a pas pour vocation de remplacer les associations et les institutions existantes, mais de faire l’intermédiaire entre elles et les chibanis et d’apporter leur expertise. En plus de sa permanence sociale, l’association anime une émission radio sur Pastel FM dans laquelle elle fait intervenir des spécialistes pour aborder des thématiques précises comme la maladie d’Alzheimer. « La radio locale nous permet d’entrer directement dans le foyer des gens et des aidants », précise encore Khadija. L’association a aussi publié, avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, un livret d’accès aux droits à destination des chibanis et de leur entourage. Des ateliers d’expression sont aussi organisés pour les chibaniates du quartier de l’Alma, qui ont fait la Une des médias ces derniers temps car leur foyer logement, le seul en France qui regroupe autant de femmes, doit être détruit et elles, séparées. Et Khadija Ouadjou de conclure : « Notre priorité, ce sont ces femmes qui ont rejoint leurs maris dans les années 60 et que l’on a oubliées, souvent cantonnées à la maison, à élever les enfants. Mises à l’écart, elles ont été éloignées de la langue française et des codes de la société. »