Au sujet du bac : l’Arlésienne du pont !
C’est confirmé : le conseil régional ne financera plus le bac de Barcarin, qui relie Salin-de-Giraud et Port-Saint-Louis. Les 400 mètres de traversée que l’embarcation effectue quotidiennement sont pourtant essentiels pour les 2 400 habitants de Salin, qui travaillent majoritairement sur l’autre rive du Rhône. Car cette petite commune d’Arles est enclavée entre le delta du Rhône et le parc naturel régional de Camargue. Et si traverser le fleuve à l’aide du bac prend moins d’une vingtaine de minutes, il faut compter une heure et demie pour faire le détour en rejoignant le pont le plus proche, 40 km plus haut.
Alors pourquoi ne pas en construire un à Salin ? « Ce pont, c’est une Arlésienne ! » se fend un salinier. Au Bar des sports comme sur le terrain de pétanque, la blague revient souvent, et pour cause : l’idée d’un pont est régulièrement évoquée depuis les années 70, particulièrement durant les périodes électorales. Un référendum fut même organisé en 2003, approuvant le projet. Puis plus rien. Mais cette fois, ce pourrait être la bonne : relancé en 2017 par Martine Vassal, le département (CD 13) annonce qu’un marché de maîtrise d’œuvre a été attribué en 2019. Unis sous une même couleur politique, ville (divers droite), région (LR) et département (LR) semblent pousser le projet. Des concertations avec les habitants auraient même dû débuter fin 2020, repoussées par le contexte sanitaire. Mais si pont il y a, celui-ci n’arrivera pas avant cinq ans, au mieux. Et en attendant, le bac doit trouver un moyen de subsister.
Les finances tanguent
Un tiers du fonctionnement du Syndicat mixte des traversées du Delta du Rhône (SMTDR) était jusqu’à présent assumé par la région. Le reste revient majoritairement au département (70 %), et dans une moindre mesure à la ville d’Arles (6 %). Même si le conseil régional annonce un départ en douceur, avec 1 million d’euros répartis sur trois ans, le manque à gagner est sévère. Pour compenser une telle perte, le CD 13 ne cache pas réfléchir à une ouverture à des marchés de service. Nicolas Koukas, conseiller départemental d’opposition (PCF), dénonce un choix dramatique pour le bac et ses usagers : « Notre inquiétude, c’est que le département suive la même route. »
« Le service public doit-il forcément être gratuit ? » s’interroge de son côté Alain Floutier, le directeur du SMTDR, qui fait d’ailleurs partie du comité technique sur le projet du pont. Mais même un abonnement payant pour les habitants de Salin, qui en sont pour le moment exonérés, ne parviendrait pas à équilibrer les finances du bac. À ses opposants, le ratio peut sembler déséquilibré : 5 millions d’euros de frais de fonctionnement à l’année et à peine 1 million de recettes, pour 400 mètres de traversée ?
Pour les écologistes, Salin est au contraire un point stratégique : de son isolement découle la tranquillité de la Camargue, plus grande zone humide d’Europe. Avec un pont, beaucoup craignent l’arrivée en masse de camions : dans un rayon proche se trouvent en effet le port industriel de Fos et l’immense zone logistique de Saint-Martin-de-Crau.
« On se dirige vers une montée des eaux certaine. Salin, comme Port-Saint-Louis, sont en dessous du niveau de la mer » pointe de son côté Jean Jalbert, directeur de La Tour du Vallat, qui œuvre pour la conservation des zones humides méditerranéennes. Pourquoi ne pas essayer d’avoir une gestion anticipative de cette crise ? »
Discontinuité du territoire
Si le projet du pont avance, c’est dans le flou. « Et toujours aucune étude de lancée ! » s’énerve Nicolas Koukas. Les dernières remontent à 2003, et révélaient l’impossibilité technique de construire un pont à l’endroit actuel du bac. Le désarroi des habitants est palpable : « De toute façon, on ne nous dit rien, s’énerve Christian Petitnicolas, président de l’association d’usagers du bac. On nous a tellement parlé de ce pont que personne n’y croit plus ! » Avis partagé par Argoub Ahmed, marin sur le bac et ancien délégué CGT. Entre deux traversées, il nous raconte ses conditions de travail dégradées, et un dialogue de sourds avec sa direction : « Depuis quelques temps, seuls les contrats courts sont favorisés, avec des gens qui ne sont pas du coin. » Un capitaine explique effectivement être en CDD depuis quatre ans. En face, les saliniers s’impatientent contre l’équipe de marins et ses appels à la grève, dénoncés comme une « prise d’otage » pour tout le village. Et les dysfonctionnements répétés de l’embarcation renforcent les partisans d’un pont.
À Salin, plus que jamais, le besoin de mobilité est primordial. Le petit village ouvrier, construit de toutes pièces fin 19ème autour de l’exploitation du sel, a vu ses caisses se vider et ses emplois locaux disparaître avec la délocalisation des marais salants. Son autre atout, le tourisme, a également pris un coup en 2017, à l’annonce de l’interdiction de la plage de Piémanson aux caravanes. Pour les saliniers, les préoccupations des écologistes sont donc parfois dures à recevoir.
En se désengageant par pallier du bac et en annonçant sa décision de participer à hauteur de 20 % au financement du futur ouvrage, le conseil régional présidé par Renaud Muselier pousse clairement en faveur du pont. Avec un budget total annoncé à plus de 40 millions d’euros, les dépenses du bac seraient épongées en une dizaine d’années. En théorie.
Nicolas Koukas se désole que la nouvelle tombe juste avant les élections régionales, prévues en juin. Il compte faire appel au préfet pour retoquer cette décision. Le SMTDR a pour mission d’assurer la continuité territoriale. La préfecture, espère l’élu d’opposition arlésien, pourrait donc bien décider que la région ne peut pas aller à l’encontre de cette « continuité » en l’obligeant à mettre à nouveau la main à la poche pour soutenir le bac. Rendez-vous en Camargue pour le prochain épisode.
Cette enquête est une version actualisée d’un reportage publié dans L’Arlésienne, partenaire du Ravi.