L’Islam en quête de reconnaissance

mai 2006
Les élus issus de l'immigration maghrébine sont parfois déstabilisés par l'entrée de l'islam en politique. Exemple à Marseille.

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L’islam est aujourd’hui consacré par la République comme nouveau culte de France. Un processus d’intégration qui peut emprunter des voix différentes d’une ville à l’autre. Il conduit à l’émergence de structures associatives et d’acteurs religieux afin de satisfaire une demande spirituelle de plus en plus grande. Représentants d’organisations religieuses internationales, mosquées de quartier, personnalités charismatiques : tous participent à leur manière au modelage du paysage islamique local. Mais cette multiplication d’acteurs conduit inévitablement à une attitude concurrentielle, autour d’un enjeu de taille : la reconnaissance par les autorités locales. « Ces associations cultuelles et les personnalités qui les dirigent, ont tellement intériorisé une long passé de non reconnaissance, que le moindre signe de l’élu est vu comme décomplexant », explique Vincent Geisser, sociologue à l’IREMAN (Institut de recherche et d’étude sur le monde arabo-musulman). Héritières du mouvement Beur, des associations telles que France Plus ou Unir, ont échoué à transformer les revendications sociales en programme politique. Les associations musulmanes se sont donc peu à peu emparées des préoccupations des jeunes qui ne se sentent pas écoutés par les partis. Ils expriment ainsi par des attitudes et des pratiques religieuses le malaise qu’ils ressentent. Hamid S, 34 ans, travailleur social : « Les politiques ne nous représentent pas. Les associations pensent d’abord à leurs subventions. Regardez Malek Boutih (ancien président de SOS racisme), il s’est servi de nous pour arriver. Aujourd’hui il est carrément contre nous. » L’islam permet de signifier à la société son désaccord.

A Marseille, cette nouvelle relation au politique par le religieux voit le jour à partir de 1995. C’est le début de ce que Tahar Rahmani, conseiller municipal de la Convention citoyenne (divers gauche) appelle « la période de confusion », avec une montée en puissance jusqu’en 2001. L’islam devient alors, selon Vincent Geissert, « ressource et moyen de pression pour les élus issus de l’immigration, vis-à-vis des politiques menées par leurs partis ». Les associations religieuses acquièrent beaucoup plus de visibilité. La désignation, en 1995, de Soheib Bencheikh comme Grand Mufti de Marseille, installe définitivement l’islam sous les projecteurs des médias locaux.

Face à cette « intrusion », les élus issus de l’immigration, qui n’ont aucun ancrage dans les associations musulmanes s’intéressent au phénomène et réagissent chacun à leur manière. Mohamed Laqhila, élu d’arrondissement écologiste, loin d’être un assidu des mosquées, se lance par exemple dans une association improbable avec Soheib Bencheikh. Il devient son représentant laïc au sein de l’association cultuelle CORAIL qui ?uvre pour l’édification d’une grande mosquée. « L’égalité en matière d’infrastructure religieuse n’est pas respectée, explique cet élu Vert, expert comptable dans la vie. Je suis citoyen français avec une culture musulmane, c’est une valeur que je revendique. ». L’islam devient donc « sujet » et « objet » pour tous ces candidats condamnés à intégrer cette nouvelle donne avec plus ou moins de bonheur. Tahar Rahmani, alors élu socialiste, lance le « cercle des socialistes de culture musulmane » et dénonce les carences en matière d’organisation du culte. Mais sa démarche n’a pas véritablement d’ancrage. Sa génération est celle de la marche des beurs, et s’il a la fibre communautaire, il se sent d’avantage arabe que musulman (soutien affiché à la cause bosniaque et palestinienne). En 1999, survient la première tentative de structuration des acteurs directs de l’islam, en l’occurrence les gestionnaires de mosquées : le Conseil des imams, avec pour leader le radical Mourad Zerfaoui, biologiste de formation, s’appuyant sur la mosquée al Islah dans les quartiers nord de la ville. Dès lors les choses s’accélèrent, et l’opposition gauche/droite s’amplifie.

Lors des municipales de 2001, la construction d’une grande mosquée devient un thème de campagne. « Il était politiquement suicidaire de ne pas évoquer à un moment ou à un autre dans la campagne, l’islam, les musulmans et les mosquées », se souvient Mohamed Laqhila. Cette même année, un nouvel acteur fait son entrée dans le paysage islamique de Marseille : la nébuleuse UOIF (Union des organisations islamiques de France), puissante structure transnationale. Son responsable régional, Mohsen N’gasou, ne cache pas son ambition de devenir « un groupe de pression ». Face à ces nouveaux acteurs, la Mairie met en place une stratégie clientéliste. Elle installe pour cela, selon l’expression de Vincent Geisser, « un bureau des affaires musulmanes » avec à sa tête le peu apprécié Salah Bariki.

Devant cette montée en puissance du fait religieux, les leaders de mosquées se « notabilisent », gagnent en visibilité, sont sollicités par la presse locale lors d’événements impliquant l’islam. Si bien que les acteurs politiques issus de l’immigration maghrébine se sentent piégés. Il leur faut désormais le soutien des institutions cultuelles mais se doivent de garder également un discours ouvertement laïc. Ce que résume à sa manière Mohamed Laqhila : « un pied dans la mosquée et un pied dans la politique ». Un équilibre pour le moins précaire…

Rafi Hamal

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