"C’est un pouvoir stupide et aveugle"

octobre 2010 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Jean-Louis Bianco, candidat à l'investiture PS pour la présidentielle, invité de la Grande Tchatche

Voulez-vous sérieusement être président de la République ?
Ce livre n’est pas un coup de folie. Je crains que la victoire ne soit pas acquise en 2012. Le PS va mieux, il y a une volonté d’unité. Mais pour l’instant les Français ne sont absolument pas convaincus que la gauche et le PS feraient mieux que Sarkozy. Dans « Si j’étais président », j’explique ce que je ferais pour que les gens aient le sentiment que cela change.

Par exemple ?
Il nous faut être capable de proposer des mesures précises pour intéresser en particulier les abstentionnistes. Par exemple un pacte entre la nation et les entreprises : on offre à celles-ci des baisses d’impôts et de charges si elles embauchent des jeunes… Surtout, il faut leur faire comprendre qu’avec nous, il y aura des vrais changements, que cela ne sera pas une gestion accommodante du libéralisme et du capitalisme. Disons dès maintenant que si nous gagnons les élections nous supprimerons absolument tous les bonus, stock option et retraites chapeaux.

125 députés UMP réclament à la fois la suppression du bouclier fiscal et celle de l’impôt sur la fortune. C’est une bonne idée ?
C’est un attrape-couillon ! Rendez vous compte ! Ils veulent échanger 700 millions d’euros de bouclier fiscal contre 4 milliards d’Euros d’impôt sur la fortune. En réalité c’est une manière d’essayer de se dépêtrer avec ce bouclier fiscal terriblement impopulaire. Et au passage, on fait gagner 4 milliards d’euros aux gens les plus riches de France. C’est absolument scandaleux. Je paye moi-même l’impôt sur la fortune et je ne suis pas pour son abolition.

Promettre « du sang et des larmes », n’est-ce pas démobilisateur ?
On m’a dit « si vraiment tu veux être président, ce n’est pas la meilleure manière de démarrer ». Mais j’utilise cette formule depuis plus d’un an dans des réunions. Elle frappe les gens. Je crois qu’elle peut nous aider à être crus lorsque l’on dit qu’on veut faire des choses pour les jeunes, le pouvoir d’achat, pour que l’industrie française ne meure pas complètement…

Prônez-vous comme Jacques Attali une nouvelle cure d’amaigrissement ? Au fait, est-il toujours de gauche ?
Il est profondément de gauche. Mais là, il prône à tort l’austérité. Les causes du déficit de la France c’est le gouvernement, ce ne sont pas les collectivités locales. L’État se gargarise d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Résultat : on est dans une situation très difficile dans l’éducation, dans la santé. Et même si je me place d’un point de vue strictement comptable, cela ne rapporte que 4 milliards d’euros.

Dominique Strauss-Kahn, candidat potentiel du PS, ne juge pas tabou de repousser l’âge légal de la retraite. Et vous ?
Pour qu’un candidat soit choisi, il faut qu’il soit clair sur ce point. Je voterai pour celui qui dira « je remettrai la retraite à 60 ans ». Cela dit, le FMI cela va être lourd à porter pour Dominique Strauss-Kahn ! Je suis très à l’aise avec la position adoptée par le PS, à la quasi unanimité, sur les retraites. On a un plan financé qui fait porter l’effort sur la taxation des revenus du capital et des profits. Sur un plan comptable, il n’est pas nécessaire de faire bouger l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans ni de 65 à 67 ans.

Des jeunes qui manifestent pour les retraites, c’est choquant ?
Le même pouvoir qui affirme « aller dans la rue c’est très mal » dit « il faut vous mettre en taule à 13 ans si vous faites une connerie » ! Le gouvernement trouve les jeunes pénalement responsables et politiquement irresponsables. C’est un pouvoir stupide et aveugle (…) Les jeunes pensent à leur retraite car leur avenir est bouché. Ils savent très bien que la vie active pour eux, c’est d’abord le chômage, ensuite des petits boulots ou des stages pas toujours payés qui ne donnent pas droit à cotisation…

Pendant le conflit, Jean-Noël Guérini, le président des Bouches-du-Rhône, a appelé les salariés du port à reprendre le travail. Une attitude responsable ou étonnante pour un socialiste ?
Sa position ne me choque pas. Le port de Marseille est un lieu de conflit extrême où on n’a jamais su trouver les conditions pour qu’il puisse rester dans la compétition mondiale tout en gardant un certain nombre de droits. Maurice Thorez disait qu’il faut savoir arrêter une grève…

Dans un autre registre, vous dites parfois qu’il faut être plus dur que Sarkozy contre l’insécurité dans les banlieues. Vous cédez à la surenchère ?
On sait que dans les banlieues, il y a des kalachnikovs en vente libre. Si on doit y faire descendre la police c’est pour essayer de les trouver et de lutter contre le trafic de drogue. Le gouvernement fait de la gesticulation mais n’est pas efficace. Pour autant, je souhaite qu’on développe les moyens de prévention, qu’on permette aux maires de travailler, qu’on rétablisse une police de proximité (…) J’aime bien la formule employée par Tony Blair, qui n’est pas en odeur de sainteté dans la gauche française : « dur avec le crime, dur avec les causes du crime ».

Venons-en à des dossiers plus régionaux. Explosion des coûts, contestation scientifique, Iter est-il toujours une bonne idée ?
Essayer de reproduire sur terre l’énergie des étoiles, c’est pas gagné ! C’est un pari. Mais s’il est tenu, on aura résolu le problème de l’énergie pour l’humanité. Iter ce n’est pas le nucléaire au sens des centrales ou des bombes. Il faut garder le sens de la mesure tout en reconnaissant que les coûts dérapent et que l’issue est incertaine. Et puis les retombées locales ne sont pas négligeables. Depuis que ce projet a démarré, 580 millions d’euros de travaux ont été faits dans la région. On gagnera beaucoup plus d’argent pour les Alpes de Haute-Provence que ce que nous avons investi, c’est-à-dire dix millions d’Euros.

Vous êtes à l’origine de la circulaire Bianco qui règlemente les débats publics. Celui sur la LGV est-il un fiasco ?
Ce qui ralentit les travaux c’est surtout l’incapacité des pouvoirs publics à se décider. C’est vrai que les débats publics sont souvent difficiles car les gens qui sont contre un projet ne veulent pas discuter des conditions de sa réalisation. Pour la LGV, l’État, comme d’habitude, renvoie son financement vers les collectivités locales. Et puis il y a la question de « par où on passe ? ». J’avais un point de vue totalement minoritaire : aller le plus au Nord possible pour éviter les zones urbaines…

Dans le « 04 », Digne-les-Bains est touchée de plein fouet par la RGPP, la fameuse « révision générale des politiques publiques »…
La « RGPP » met en difficulté des villes administratives comme Digne-les-Bains. On taille dans les effectifs à EDF, au Pôle emploi, dans les écoles, les hôpitaux, à la poste. C’est une politique de gribouille, stupide, qui rapporte très peu sur le plan budgétaire et coûte beaucoup en termes de droit aux services publics et d’aménagement du territoire. Il faudra qu’on revienne là-dessus. On peut très bien être plus efficace sans diminuer le nombre de fonctionnaires de manière aveugle. Par exemple : en produisant dix fois moins de lois, de règlements et de circulaires, on gagne des millions d’heures de travail et on laisse les gens se débrouiller localement…