"Ce sont les lobbyistes qui commandent"

novembre 2010 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
André Aschiéri, maire EELV de Mouans-Sartoux, invité de la Grande Tchatche

Dans votre dernier livre (*), vous dites d’Europe Écologie que c’est « une nouvelle étoile dans la nuit politique ». Quel enthousiasme !
C’est un peu prétentieux mais Europe Écologie porte une voie un peu différente, décalée. Je me sens bien avec ceux-là. Je n’aime pas avoir la carte d’un parti politique. Mais ils me prennent comme je suis et je suis d’accord dans les grands principes.

À Lyon, en novembre, Les Verts et Europe Écologie ont fusionné. Corinne Lepage a claqué la porte en dénonçant « une évolution très gauchisante »…
Je n’étais pas à Lyon. Je n’aime pas entrer dans ce type de débats.

Laurence Vichnievsky, parachutée de Paris pour conduire en Paca la liste aux régionales, pourrait se présenter aux sénatoriales dans la capitale. Ce genre de va-et-vient donne-t-il une bonne image de la politique ?
Je n’ai pas à juger mes camarades.

La distinction entre la gauche et la droite a-t-elle encore du sens pour vous ?
Je suis resté très rétro là-dessus. Je ne crois pas qu’on puisse être à la fois d’un côté ou et de l’autre. Je n’imagine pas passer un jour à droite. Mais s’il y a quelque chose de bon en face, je prends. Le Grenelle de l’environnement par exemple. C’est la seule chose positive qu’ait faite ce gouvernement.

Beaucoup jugent qu’il ne reste pas grand-chose des compromis issus du Grenelle. Et vous ?
Ce n’est pas faux. Mais le gouvernement a donné pour la première fois la possibilité de nous exprimer tous ensemble. J’étais dans le groupe des élus avec un député, un sénateur, un conseiller général, un conseiller régional, deux maires. Au bout de quelques séances, ils m’ont presque tous lâché. Mais il y avait aussi les syndicats ouvriers, patronaux et surtout les ONG, tous présents et actifs. On s’est fait la gueule la première journée. Mais on a réussi ensuite à se mettre d’accord sur le constat, même avec le Medef. C’est déjà un petit miracle.

Est-ce suffisant de faire des constats ?
Quand il faut passer à l’application, les lobbies sont là. Ce ne sont pas les ministres ou les directeurs de cabinet qui commandent, ce sont les lobbyistes, ceux qui ont du pognon et qui orientent dans le sens du profit le plus rapide et le plus fort possible.

Vous dénoncez avec virulence la politique de Roselyne Bachelot et, plus largement, celle du ministère de la Santé. Pourquoi ?
Je la sens liée aux laboratoires pharmaceutiques, du côté de ceux qui vendent des médicaments et qui ont intérêt à ce que vous ayez un bon cancer qui dure longtemps […]. Tous les scandales sanitaires de ces dernières années viennent au départ d’une faiblesse du ministère de la Santé. Citons pour mémoire celui de l’amiante.

Pourquoi l’Afsset, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail que vous avez créée et dont vous étiez vice-président de 2003 à 2010, a-t-elle été dissoute dans l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire – alimentation, environnement, travail) ?
L’Afsset était trop indépendante ! Aujourd’hui, on est en train de crever par ce qu’on mange. Face aux lobbies très puissants, les politiques ne vont pas régler le problème. Sauf si les citoyens et les consommateurs se rassemblent pour dire qu’il faut que cela change.

Vous voilà vice-président de la région chargé du logement et du foncier. Qu’allez-vous pouvoir faire ?
En Paca, on perd 3 000 hectares de terrain agricole chaque année. C’est comme si deux villages disparaissaient. On ne peut pas continuer comme ça. C’est mon nouveau combat. Je veux me battre pour préserver du foncier agricole, mettre en place des aides pour permettre aux jeunes de devenir cultivateurs, trouver des solutions pour les paysans à la retraite afin qu’ils ne soient pas contraints de vendre leurs terrains où l’on construira des villas, permettre l’existence d’une agriculture de proximité à l’image des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). À Mouans-Sartoux, je vais donner l’exemple. J’ai un terrain de deux hectares et demi en plein milieu des habitations. Je vais le classer en terres agricoles.

Maintenez-vous qu’Iter, le futur réacteur expérimental thermonucléaire, peut être dangereux ?
Bien sûr, je le confirme ! Et là, je vais être un peu prétentieux. Il n’y a pas beaucoup de personnes en France qui connaissent les vrais problèmes du nucléaire comme moi. À l’Assemblée nationale, j’ai été à l’initiative de la création de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire…

Iter est-il vraiment pour vous aussi dangereux qu’une centrale nucléaire ?
Non, sans doute pas. Je condamne la politique actuelle qui dit que l’énergie propre, c’est le nucléaire. C’est une impasse. Je connais des « liquidateurs » de Tchernobyl qui ne sont pas morts. Lors d’une visite en France, ils se sont exprimés sur la sécurité de nos installations nucléaires. Nos pompiers ne sont même pas préparés à un accident. Ils m’ont dit : « Vous avez peur d’Iter, où le réacteur sera protégé avec des murs de près de deux mètres d’épaisseur. Mais à Toulon, où sont les sous-marins nucléaires, on trouve parfois de simples tôles de cinq millimètres. » C’est sûr, cela pètera un jour, il y aura une erreur humaine.

Le compromis que constitue « Alter Iter » vous satisfait-il ?
C’est plutôt intéressant : cet accord prévoit qu’un euro pour Iter, c’est un euro pour l’énergie propre et aussi pour la réhabilitation thermique des bâtiments sociaux à laquelle je veille. Mais oui, c’est un compromis qui n’aurait pas eu lieu d’être…

Dans votre département très sarkozyste, existe-t-il un barrage sanitaire autour de Mouans-Sartoux ?
À peu près. C’est la politique ! Ce qui me fait plaisir, c’est que les mêmes qui étaient au départ pour le doublement de l’autoroute A8 et contre le train, la réouverture de la ligne Canne-Grasse – comme Christian Estrosi – sont aujourd’hui de mon côté !

Mais la fréquentation de la ligne Cannes-Grasse, avec les retards, les annulations de train, est en chute libre…
Quand la SNCF a besoin d’un chauffeur entre Monaco et Marseille, ligne plus rentable, elle le pique à Mouans-Sartoux. Je travaille là-dessus. L’idée est de faire un véritable RER entre Nice et Cannes, avec un train tous les quarts d’heure, et toutes les demi-heures entre Grasse et Cannes.

Un mot sur votre refus acharné de voir s’installer un Ikea aux portes de votre commune. Êtes-vous responsables de 400 chômeurs, ceux que l’enseigne suédoise disait vouloir embaucher ?
C’est un argument complètement stupide. Les grands magasins n’augmentent pas le nombre d’emploi, au contraire ! Quand on compare une caissière qui voit passer 400 à 600 personnes et l’emploi généré par des petits commerces, on comprend vite…

Question subsidiaire. Pourquoi préférer, sur la Côte d’Azur, les livres aux Rolex ?
Une grande idée préside au Festival du livre de Mouans-Sartoux : tous nos problèmes ne pourront être résolus que par l’éducation et la culture…

(*) Mon combat contre les empoisonneurs. Comment les industriels s’organisent pour continuer à vendre leurs produits toxiques et comment les citoyens se mobilisent pour leur répondre, par André Aschieri, avec la collaboration de Roger Lenglet, éditions La Découverte.