« Le FN relève du champ de l’extrême droite »

octobre 2016 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Joël Gombin, spécialiste du vote FN, invité de la Grande Tchatche
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le Ravi : Comment expliquer l’omniprésence du Front national dans le débat politique avec sa candidate annoncée au second tour de la présidentielle ?

Joël Gombin : L’un des grands succès du FN c’est d’avoir en effet réussi à devenir un sujet central du débat politique en France. L’une des explications c’est que dans une Vème République organisée pour la confrontation entre deux camps structurés, incarner une force durablement en dehors des processus d’alliance perturbe beaucoup, à la fois les acteurs politiques et les électeurs. En même temps, le fait que le FN se réclame d’une position antisystème, tout en étant en réalité dans le système, crée une espèce de fascination-répulsion.

Reprendre le discours du FN pour séduire ses électeurs, est-ce que cela fonctionne ? Nicolas Sarkozy qui, un temps, a bénéficié de cette stratégie, semble désormais à la peine…
On a beaucoup fait l’analyse, moi y compris, qu’en 2007 Nicolas Sarkozy avait gagné en élargissant son espace politique à droite en mangeant sur les plates-bandes du FN. La réalité était un peu plus complexe. Car il ne s’était pas contenté de faire un pas vers sa droite mais s’était livré à une véritable triangulation : sur sa droite, certes, avec les thèmes identitaires, mais en même temps sur sa gauche, en mettant en avant des personnalités comme Rachida Dati, Rama Yade, en proposant de supprimer la double peine et, surtout, en tenant un discours positif sur le plan social, le « travailler plus pour gagner plus »…

Christian Estrosi, après avoir déclaré que « plus on va à droite plus on fait monter le FN », fait pourtant désormais campagne derrière Sarkozy suivant une stratégie très droitière…
La ligne défendue par l’aile droite de l’UMP, souvent venue du RPR, celle de la droite populaire et de ses sympathisants – les Thierry Mariani, Maryse Joissains, Valérie Boyer – n’a pourtant pas payé électoralement. Lorsqu’on observe les candidats issus de la droite populaire lors des législatives en 2012, on constate qu’ils ont fait proportionnellement moins bien que les autres candidats estampillés UMP. En ce qui concerne Christian Estrosi, je ne sais pas si c’est un retour à l’habitus, une espèce de naturel qui revient au galop, mais il faut voir que sa trajectoire politicienne vient du médecinisme à Nice. En 1998, Estrosi était la cheville ouvrière de ceux qui souhaitaient l’alliance entre le FN et la droite pour diriger la Région. Il était difficile pour lui de changer significativement de positionnement politique.

Les électeurs du FN et de la droite républicaine se confondent-ils ?
La question de la « porosité-fusion » de l’électorat est complexe. Sur les questions d’autoritarisme et de libéralisme culturel, il y a une différence de degré plutôt que de nature entre les électorats du FN et la droite classique. Par contre, sur l’axe du libéralisme économique, c’est plus compliqué : la droite traditionnelle est dans sa majorité libérale économiquement, alors que l’électorat du FN, pour une majorité, est antilibéral. La césure est là.

Existe-t-il une réelle spécificité du vote FN en Paca, par opposition à celui au nord de la France notamment ?
Du point de vue de son électorat, le FN n’est pas parfaitement homogène. Lorsque Marine Le Pen arrive dans le Nord-Pas-de-Calais, la gauche y est politiquement hégémonique, d’où un discours économiquement et socialement plus audible pour des électeurs qui viennent d’une culture de gauche. A l’inverse, Marion Maréchal-Le Pen est dans une situation tout à fait différente : le Vaucluse où elle arrive est déjà très largement acquis aux thèses de l’extrême droite, les droites y sont poli-culturellement hégémoniques et la gauche en voie de disparition… Mais il ne faut jamais oublier derrière ces différences stratégiques, que des thèmes font profondément l’unité du parti et de l’électorat du FN : tous y ont les mêmes positions, extrêmement dures, sur les enjeux identitaires et concernant l’immigration.

La dédiabolisation, c’est donc un mythe ?
Il faut bien comprendre que la dédiabolisation c’est un « storytelling », une stratégie interne impulsée par le FN, plutôt qu’une ligne idéologique. Être pour la dédiabolisation au FN, c’est avant tout un rapport au pouvoir, être prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour parvenir au pouvoir, polir les angles, se détacher des éléments les plus remuants. Toute l’histoire du FN, y compris du temps de Jean-Marie Le Pen, est une histoire de dédiabolisations successives.

Le parti de Marine Le Pen avec sa « France apaisée » relève-t-il toujours du champ de l’extrême droite ?
L’affiche sur la France apaisée est un coup de génie : l’état du débat politique en France est devenu tellement hystérisé que sans bouger de ses positions le FN peut essayer d’apparaître comme le parti apaisé. En même temps, on ne s’affranchit jamais complètement de son histoire. Une série de différences programmatiques demeurent entre le FN et les autres partis, la préférence nationale généralisée, la peine de mort. Le FN est toujours en interaction avec le champ de l’extrême droite. C’est même pour lui une ressource : se banaliser complètement reviendrait vraisemblablement à disparaître ou en tout cas à perdre beaucoup d’influence.

Pourquoi, selon vous, la génération Jean-Marie Le Pen vivait pour la politique alors que la génération Marine Le Pen vit par la politique ?
L’héritage Lambert a été un moment déterminant dans la carrière politique de Jean-Marie Le Pen en le mettant à l’abri du besoin économique pour toute sa vie : il a donc pu faire de la politique sans aucune contrainte de gagner ou de perdre les élections. Autour de lui, les cadres avaient un autre métier – haut fonctionnaire, universitaire – ou une fortune personnelle. Avec la génération de Marine Le Pen, ce sont tous des gens qui ont l’ambition et souvent la nécessité de vivre de la politique. Donc, avec eux, on entre dans un fonctionnement qui est tout à fait comparable à celui des autres grands partis.

Stéphane Ravier, le sénateur-maire FN marseillais, affirme qu’il n’y a pas de plafond de verre et que, de toute façon, « le verre cela se brise »…
D’une certaine manière, il a raison. Des collègues, au fil des années, ont souvent affirmé que le FN était arrivé au taquet. Et à chaque fois, on a vu qu’ils sont passés au-dessus. En 2012, le FN a même presque doublé son potentiel électoral. En même temps, il existe une règle de la Vème République dont il va être très compliqué de s’affranchir : lorsqu’on n’a pas d’alliés, on ne gagne pas au second tour. Certes, le FN aujourd’hui est dans une dynamique qui permet d’agréger progressivement des groupes sociaux aux intérêts sociaux partiellement contradictoires. Comme il n’exerce pas le pouvoir, la contradiction entre ces intérêts divergents n’éclate pas. Mais en même temps, je ne vois pas comment il serait possible pour le FN de bâtir une coalition sociale qui à elle seule ferait 50 % des voix. Aucun parti n’y est jamais parvenu dans l’histoire de la Vème République, pas même les gaullistes à la grande époque.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Alexandre Mathieu